Article 14 avril 2020

Quelles stratégies pour les clients retraités et préretraités?

La crise de la Covid-19 inquiète particulièrement les préretraités et retraités. Ils voient leurs placements fondre au pire moment et craignent de voir le financement de leur retraite compromise. En ces temps difficiles, les conseillers ont un rôle crucial à jouer pour guider leurs clients plus âgés et leur proposer les solutions les plus optimales.

Préretraités et retraités n’affrontent pas tout à fait les mêmes défis en temps de crise. Les premiers restent en période d’accumulation et leur principal revenu provient du travail. Or, plusieurs se voient privés de leur emploi, au moins temporairement.

Gérer le manque de liquidités

« Ceux qui ne possèdent pas de fonds d’urgence peuvent se retrouver en manque de liquidités très rapidement », regrette Richard Aubin, planificateur financier de SFL Gestion de patrimoine. Le réflexe normal pour bon nombre d’entre eux consisterait à retirer de l’argent de leur REER.

Ce n’est pourtant pas la meilleure des idées, puisque les titres ont perdu beaucoup de valeur. La Chambre recommande d’ailleurs de rappeler aux clients que cette crise aura une fin et qu’elle ne devrait pas être un motif à elle seule pour modifier leurs portefeuilles.

Micheline B. Soucy, planificatrice financière et fiscaliste de Whitemont, conseille de commencer par revoir le budget et réduire les dépenses. Certaines options comme renégocier l’hypothèque (si c’est avantageux en raison de taux d’intérêt plus bas) peuvent être envisagées. S’il faut tout de même retirer de l’argent, mieux vaut le faire d’abord d’un CELI, puisque l’on ne paiera pas d’impôt.

La manière dont sont structurés les placements joue aussi. Les clients qui possèdent des parts de fonds d’obligations, des obligations individuelles, des fonds d’actions ou des actions individuelles peuvent par exemple piger dans leurs obligations sans toucher à la portion actions, en attendant que la valeur de celles-ci remonte. Ce n’est pas le cas de ceux qui ont des parts de fonds communs de placements équilibrés.

D’autres produits, comme des marges de crédit hypothécaires ou personnelles peuvent aussi devenir plus avantageux que de se servir dans les REER. On peut même considérer emprunter sur la valeur de rachat d’une police d’assurance vie permanente. « À court terme, il vaut parfois mieux s’endetter que de dilapider ses placements, estime Tony Tiberio, conseiller en sécurité financière de Services financiers Tiberio Mecca. Cela permet de protéger le rendement à venir. » Ceux qui comptent sur un remboursement d’impôt ont par ailleurs intérêt à remplir leur déclaration rapidement afin d’en accélérer le versement.

Mettre les placements à l’abri des émotions

« En temps normal, les préretraités sont déjà stressés par l’arrivée de cette étape importante de leur vie et la crise décuple cette anxiété, indique Cédrick Jasmin, conseiller en placement et en sécurité financière de Whitemont. Ils voient la valeur de leurs placements baisser et se demandent s’ils pourront partir à la retraite au moment prévu ou s’ils devront réduire de beaucoup leur qualité de vie. »

Le rôle du conseiller consiste justement à mettre les choses en perspective. M. Jasmin rappelle d’abord à ses clients que le départ à la retraite ne représente pas l’échéance de leur portefeuille. Pour un épargnant qui quitte la vie active à 60 ou 65 ans, l’horizon de placement peut tout de même s’étaler sur 20 ou 30 ans, voire plus. Il dispose donc d’un certain temps pour voir son portefeuille se redresser.

Il faut aussi gérer la tentation, pour les préretraités comme pour les retraités, qui consiste à vouloir restructurer le portefeuille en se délestant d’une grande partie des actions, au profit de titres à revenu. Ce n’est pourtant pas la meilleure idée : « Il est trop tard pour bouger, le marché a baissé trop vite et il vaut mieux attendre la relance », prévient M. Aubin.

Deux stratégies peuvent bien servir les préretraités en temps de crise. Il convient d’abord de réévaluer le portefeuille. On peut alors vendre des parts de fonds d’actions dans certains secteurs  et en racheter de nouvelles dans d’autres domaines afin de miser sur la nouvelle conjoncture et de mieux préparer l’investisseur en vue de la reprise. L’autre approche consiste à ajuster la pondération. « Nous sentions qu’une récession s’en venait et nous avions déjà diminué le poids en actions de plusieurs portefeuilles, explique Mme Soucy. Maintenant que le marché a beaucoup baissé, on peut songer à en racheter, pour profiter des bas prix et s’exposer à la croissance lors de la relance. Mais il faut s’assurer que les clients sont à l’aise avec cette approche. »

En effet, la Chambre tient à rappeler que le rôle du conseiller consiste à faire les bonnes recommandations, mais que la décision appartient au client. Le conseiller doit pouvoir démontrer qu’il a bien fait son travail et a émis des mises en garde au client. Il est donc crucial de bien noter au dossier toutes les communications et démarches entreprises ainsi que les recommandations faites.

Pour les retraités

Évidemment, le contexte actuel inquiète particulièrement les retraités qui détiennent des FERR ou des fonds de revenu viager (FRV) et doivent retirer un minimum de leurs placements annuellement. Conscient de la situation, le gouvernement fédéral a rapidement réduit de 25 % le retrait minimal exigé des FERR pour 2020. « Je propose aussi à certains de mes clients de repousser les ponctions de leur FERR à l’automne, s’ils peuvent se le permettre, explique M. Aubin. En ce moment, il est vraiment désavantageux de décaisser. »

De son côté, Mme Soucy rappelle que les parts des fonds de travailleurs ont été cotées en 2019, avant la baisse. Normalement, leur valeur est établie deux fois par année, mais cette opération pourrait être devancée pour tenir compte de la correction. Certains retraités auraient donc intérêt à retirer de l’argent de ces fonds, quitte à en réutiliser une partie pour réinvestir dans le marché des actions à un moment où les prix sont bas.

Daniel Bissonnette, directeur de succursale d’Investia et PDG de Planifax Vie Plus, estime que c’est dans un moment comme celui-ci que l’on voit si l’on a bien joué son rôle de conseil et d’éducation auprès de ses clients. Il constate que parmi ses clients, la tendance n’est pas du tout de sortir du marché. Au contraire, plusieurs profitent des bas prix pour procéder à des investissements. C’est notamment le cas de ceux qui avaient vendus des actions lorsque leur valeur était haute, précisément pour se construire une réserve de liquidités pour revenir dans le marché après une correction. « Il ne faut pas penser que tous les retraités sont très conservateurs avec leurs placements, la plupart veulent continuer d’obtenir des rendements intéressants », dit-il.

Il juge qu’avec les taux d’intérêt faméliques qui semblent devenus la norme, les retraités devraient se montrer un peu plus audacieux avec leurs placements. « Sinon, ils vont passer trop rapidement à travers leur capital et risquent de manquer de fonds », précise-t-il.

« Depuis les débuts de ma carrière, il y a eu le Black Monday de 1987, les attaques du 11 septembre 2001, la crise de 2008, rappelle M. Tiberio. On va se sortir de celle-ci aussi. »

En juillet 2019, 1,63 million de Québécois étaient âgés de 65 ans et plus, soit 19,3 % de la population totale, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

En 2018, environ 60 000 personnes sont parties à la retraite au Québec, selon Statistique Canada. 27,1 % avaient moins de 60 ans et 72,9 % avaient plus que 60 ans.