Article 18 avril 2023

Conjoints de fait en affaires : se préparer au pire pour s'aimer en paix

Exploiter une entreprise alors qu'on est déjà conjoints de fait, c'est un peu comme être en couple deux fois. Mieux vaut donc connaître tous les éléments qui protégeront les partenaires et leur commerce en cas de coup dur.

Avant de songer à régler ce qui concerne l'entreprise, les conjoints de fait en affaires doivent d'abord mettre leur situation personnelle en ordre. « C'est très important d'avoir un contrat de vie commune lorsqu'on est deux conjoints de fait qui gèrent une entreprise ensemble », souligne le planificateur financier Patrice Gascon. Ce contrat entre conjoints de fait permet notamment de définir le partage des responsabilités, la représentation de l'un des conjoints dans certaines situations (procuration), les mesures qui seront mises en place en cas de rupture ou de décès (partage des biens et des revenus, pension alimentaire ou prestation compensatoire, etc.).

Ce contrat ne remplace cependant pas le testament ni un mandat en prévision de l'inaptitude d'un des conjoints. En plus de ces documents essentiels, les conjoints de fait en affaires doivent porter une attention particulière aux assurances, spécialement l'assurance salaire (invalidité) et l'assurance maladie grave. « Si l'un des deux partenaires tombe malade et que l'autre doit consacrer beaucoup de temps à s'occuper de lui, cela peut fragiliser l'entreprise, dit Patrice Gascon. Il faut prévoir des couvertures d'assurance pour ces cas-là. »

Il constate que les conjoints de fait en affaires prennent certains risques financiers. Comme ils ne sont pas salariés, aucun des deux n'est admissible aux protections de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST). Certains ne contribueront pas non plus à la Régie des rentes du Québec. « Le rôle du conseiller consiste justement à leur montrer ces angles morts et à s'assurer que leur sécurité financière personnelle est aussi solide que possible », poursuit Patrice Gascon.

La convention d'actionnaires

Les partenaires devraient ensuite se doter d'une convention entre actionnaires, pour les sociétés par actions, ou encore un contrat de société ou de partenariat (par exemple dans le cas d'une société en nom collectif). « Ces contrats permettent de déterminer comment seront gérées certaines situations, comme le départ volontaire d'un actionnaire, le décès d'un des partenaires ou la faillite de l'entreprise », indique Me Jean-Simon Deschênes, associé dans le groupe de droit des affaires chez Langlois Avocats.

Ces contrats visent à la fois à protéger chacun des actionnaires et à favoriser la pérennité de l'entreprise. C'est important dans le cas des conjoints de fait, car la loi fédérale sur le divorce ne reconnaît pas ces unions. « En cas de séparation, les deux partenaires ne seront pas considérés légalement comme des conjoints, mais seulement comme des actionnaires », précise Me Deschênes.

Ainsi, en l'absence d'une convention dans laquelle le départ d'un des actionnaires est bien encadré, les deux ex-conjoints pourraient bien se retrouver avec un litige sur les bras. Un conjoint pourrait ainsi demander au tribunal de liquider la société ou alléguer l'oppression d'un actionnaire (c'est-à-dire un comportement injuste ou abusif envers un actionnaire). « Dans tous les cas, les ex-conjoints risquent fort de s'affronter en cour, prévient l'avocat. Mieux vaut donc prévoir ce genre de situation dans un contrat dès le début. »

En cas de séparation

« La convention d'actionnaires permet aussi de clarifier la méthode d'évaluation de la valeur de l'entreprise ainsi que ce que chacun apporte dans l'entreprise et les revenus qu'ils en tirent, des sujets qui peuvent devenir délicats entre conjoints », ajoute Hélène Marquis, directrice exécutive, Planification fiscale et successorale à Gestion privée de patrimoine CIBC. Deux éléments concernant le revenu devraient particulièrement retenir l'attention des conjoints de fait en affaires, selon Mme Marquis. Ils doivent tout d'abord résister à la tentation de séparer les revenus simplement sur la base de ce qui semble le plus avantageux fiscalement. « Si l'un des partenaires dirige l'entreprise à temps plein et que l'autre répond au téléphone 20 heures par semaine, mais qu'ils touchent le même salaire, le fisc pourrait bien se manifester », illustre-t-elle. La répartition des revenus doit donc demeurer raisonnable par rapport à l'engagement de chacun dans l'entreprise.

Par ailleurs, il peut arriver que le travail d'un des conjoints, sans être directement effectué dans l'entreprise, permette à celle-ci de prospérer ou encore favorise un engagement plus grand de l'autre conjoint dans l'entreprise. C'est le cas, par exemple, si l'un des partenaires consacre beaucoup de temps à organiser des activités de réseautage, des rencontres à la maison avec des clients, etc. C'est le cas aussi lorsqu'un conjoint réalise une grande part des tâches domestiques et s'occupe des enfants afin de libérer du temps que l'autre conjoint consacre à l'entreprise. « Certaines décisions du tribunal ont permis à des conjoints d'être dédommagés lors d'une séparation, parce que leur travail dans l'ombre avait aidé l'autre conjoint à s'enrichir et à faire prospérer son entreprise », mentionne Hélène Marquis. Ces jugements en « enrichissement injustifié » se sont multipliés depuis une quinzaine d'années, même pour les conjoints de fait.

Testament ou convention d'actionnaires?

Le décès d'un des deux conjoints peut lui aussi affecter une entreprise détenue par un couple. Me Jean-Simon Deschênes rappelle que, bien que le testament soit un document important pour des couples en affaires, ce qui découle du décès d'un actionnaire devrait plutôt être stipulé dans la convention d'actionnaires. « Le testament peut être modifié par un partenaire sans que l'autre en soit averti, mais ce n'est pas le cas d'une convention d'actionnaires, explique-t-il. Celle-ci ne peut être changée qu'avec le consentement de toutes les parties. C'est donc un document plus sûr pour prévoir, par exemple, à qui reviendront les actions d'un partenaire qui décède. »

AU CANADA, 22,7 %
DES COUPLES VIVAIENT EN UNION LIBRE EN 2021.
AU QUÉBEC, C'ÉTAIT PLUTÔT 43 % DE LOIN
LA PLUS FORTE PROPORTION AU PAYS.

Source : Statistique Canada

Devant l'ampleur des éléments qu'ils doivent prendre en compte, les conjoints de fait en affaires devraient se doter d'un conseiller de confiance qui possède une vision d'ensemble et une connaissance approfondie de ses clients, ce qui n'est pas toujours le cas. « Ils consultent souvent à la pièce, un comptable ou un fiscaliste, pour gérer des éléments précis comme l'incorporation, mais ils n'ont pas nécessairement un conseiller qui les guide de manière plus générale », déplore Patrice Gascon.

De son côté, Hélène Marquis rappelle l'importance de tenir ces contrats et ces couvertures d'assurance à jour. « Ils doivent être révisés régulièrement pour s'assurer qu'ils correspondent toujours à la situation actuelle des deux conjoints et à l'évolution de l'entreprise, dit-elle. C'est essentiel pour que le couple et l'entreprise demeurent bien protégés. »


Pour en savoir plus

Convention entre actionnaires, Entreprises Québec

Entente de vie commune, Justice Québec