La parole au ministre : Eric Girard en 10 questions clés
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Dans une entrevue exclusive accordée à Magazine CSF, Éric Girard souligne le rôle crucial des conseillers durant la crise liée à la COVID-19. Il nous parle également de ses principales réalisations, du rôle du secteur des services financiers dans le cadre de la relance et des enjeux de l'épargne au Québec.
À propos du parcours de M. Girard et de ses réalisations à titre de ministre des Finances du Québec
Question 1 — Pour ceux qui vous connaissent moins, qui est Eric Girard?
ERIC GIRARD — Je suis né sur la Côte-Nord, mais j’ai grandi à Sainte-Foy dans une famille de la classe moyenne où les discussions sur la chose publique étaient fréquentes. J’adorais jouer au hockey et au baseball, comme bien des jeunes Québécois. J’ai étudié au cégep de Sainte-Foy en sciences pures, après quoi j’ai décidé d’entrer à McGill. Cela m’a permis d’accéder au milieu de la finance économique et d’apprendre l’anglais. Avant l'université, ma connaissance de cette langue se limitait aux matchs des Red Sox, que je suivais religieusement sur WPTZ Burlington. Ma mère était psychopédagogue et a fondé l’école alternative Ressources dans les années 70. De son côté, mon père était juriste et a été juge au Tribunal administratif du travail. Il a étudié à l’Université Laval en même temps que Brian Mulroney et Lucien Bouchard. Mon intérêt pour la politique – et l’éducation – ne date pas d’hier. Depuis mon adolescence que je songeais à faire de la politique. Je puise ma motivation dans la différence que je crois pouvoir faire pour mes concitoyens. Après avoir passé à travers toutes sortes de crises financières au cours de mes 25 années à la Banque Nationale, je sais qu’il faut garder la tête froide quand d’autres paniquent. La trésorerie d’une banque, c’est son centre névralgique. Je m’y suis formé à prendre des décisions critiques, rapidement et sous pression. Je suis très fier de mettre mon expérience et mes aptitudes au service du Québec.
Q2 — Comment se prépare-t-on pour devenir ministre des Finances?
EG — En fait, rien ne peut vraiment nous y préparer. Quand M. Legault m’a proposé le poste, j’ai dit oui d’emblée. Il n’y avait rien d’autre à répondre, d’ailleurs. C’est une tâche immense et des responsabilités sacrées. Mais, une chance, j’ai une équipe irremplaçable. Ce sont les membres de mon équipe qui m’ont préparé et guidé pour que je puisse trouver mes repères rapidement. Quand je suis arrivé en poste, je n’avais pas réalisé l’ampleur des responsabilités liées aux organismes qui rèlevent du ministère des Finances, comme la SAQ, la SQDC, Revenu Québec, Retraite Québec, Loto-Québec, la Caisse de dépôt et placement. Ça m’a frappé. C’est également transversal comme mission, les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais je suis réellement impliqué dans tous les dossiers du gouvernement en matière d’argent. J’ai la chance d’avoir le soutien des équipes du ministère des Finances et de mon cabinet pour s’assurer que tout est bien suivi.
Q3 — Depuis votre arrivée au portefeuille des Finances, quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fier?
EG — Notre gouvernement a commencé par réduire de façon ciblée le fardeau fiscal des Québécois en éliminant la contribution additionnelle pour la garde d’enfants et en diminuant la taxe scolaire. Nous avons remis plus de deux milliards de dollars en allocations familiales, en plus d’abaisser le tarif de stationnement des hôpitaux. Le gouvernement a investi plus de 400 millions de dollars par année dans les soins à domicile tout en bonifiant le crédit d’impôt pour les proches aidants. L’agence de notation DBRS a relevé la note du Québec. Une cote de crédit dans la catégorie « AA » de sa part représente un niveau que le Québec n’avait jamais encore atteint. On y est arrivé parce que les finances de la province étaient en ordre et parce que les analystes ont aimé notre plan somme toute responsable. Il faudra par contre revenir à l’équilibre budgétaire en cinq ans. On doit être ambitieux et viser ce retour à l’équilibre. Mais cet objectif ne se fera pas au détriment des services publics ou par une hausse des impôts. Il faut être réaliste, les Québécois font déjà leur part. Il n’est pas question d’augmenter la pression fiscale. Les choix vont être difficiles.
À propos de la pandémie et de son impact sur l’industrie des produits et services financiers
Q4 — Quel bilan dressez-vous de l’impact de la COVID-19 sur le secteur des services financiers par rapport à d'autres secteurs de notre économie?
EG — Comme vous savez, le secteur financier s’en tire quand même assez bien jusqu’ici car nous pouvons compter sur un système solide. Les institutions financières surveillent de près l’évolution de la crise et s’adaptent rapidement aux effets de la pandémie. Nous les avons vues offrir des programmes de report de paiement à leurs clients, soutenir les entreprises et les particuliers. Elles utilisent leurs importantes ressources pour bien cerner les défis économiques ponctuels de même que l'impact à long terme sur le système financier interconnecté. Elles mettent à profit leur expertise pour maintenir le cap et aussi pour aider leurs clients à prendre de bonnes décisions dans l'environnement actuel, qui est assez volatil, toutes choses étant égales par ailleurs. En comparaison avec d’autres secteurs de l’économie comme le tourisme, la restauration, l’hôtellerie et l’aviation, le secteur financier maintient ses assises, ce qui lui donne suffisamment de souplesse pour soutenir, autant que faire se peut, les industries les plus durement touchées.
« Cette période de turbulences a démontré,
s’il le fallait, l’importance du conseil financier. »
Q5 — Le secteur des services financiers, que vous connaissez bien, a-t-il un rôle à jouer dans le cadre de la relance de l’économie du Québec?
EG — Dans le contexte, du côté des particuliers, les revenus des travailleurs sont menacés, malgré le soutien des gouvernements. Les services financiers, en particulier les services-conseils, sont là pour soutenir et aider les gens à revoir leurs plans et s’adapter à la situation. D’autre part, les besoins des clients commerciaux, comme les PME, deviennent pressants puisque pour plusieurs les revenus sont affectés. Le rôle des institutions financières est très important car, dans la mesure du possible, elles fournissent des liquidités, un soutien et une souplesse nécessaires à leurs clients qui connaissent des difficultés passagères. La crise aura mis en lumière l’importance des directeurs de comptes commerciaux, qui travaillent en étroite collaboration avec nos entreprises. Tout le secteur, y compris les intermédiaires, a réagi prestement pour maintenir la continuité dans la prestation des services. Ce qui est essentiel pour rassurer les gens. Les institutions financières et leurs réseaux de professionnels qui répondent en urgence à la clientèle d’épargnants et de PME continuent, surtout en temps de crise, d’être un rouage essentiel de notre économie.
Q6 — La crise provoquée par la pandémie aura une incidence sur la survie des PME québécoises. Parmi les membres de la CSF, plusieurs travaillent dans des PME en services financiers (courtiers en assurances, courtiers multidisciplinaires, cabinets autonomes, indépendants, propriétaires, etc.), dont plusieurs bien implantées en région qui servent les entrepreneurs québécois. Prévoyez-vous avoir à soutenir cet écosystème entrepreneurial des régions?
EG — Les échos que nous avons pour le moment de ce secteur sont plutôt positifs et j’en profite d’ailleurs pour remercier sincèrement tous les professionnels qui se sont mobilisés et qui ont continué de répondre sans répit aux besoins de leurs clients. Il s’agit évidemment d’un service essentiel pour l’ensemble de notre population. Bien sûr, la pandémie nous a montré nos vulnérabilités et, même si certaines de nos entreprises affichaient un retard en matière de transformation numérique, tous les cabinets de services financiers, y compris ceux de plus petite envergure, ont relevé le défi avec brio. Ils ont réussi à servir leur clientèle de façon remarquable, malgré les mesures sanitaires, malgré les difficultés engendrées par la lenteur du service internet en région et malgré les baisses de revenus inhérentes à la situation présente.
Les conseillers membres de la Chambre de la sécurité financière ont joué un rôle crucial pour soutenir les Québécois aux prises avec des difficultés financières ou qui ont vécu avec anxiété la récente volatilité des marchés. Cette période de turbulences a démontré, s’il le fallait, l’importance du conseil financier. Il faut le reconnaître et souligner la stabilité de notre modèle québécois d’encadrement par l’AMF et les chambres, qui inspire confiance aux consommateurs québécois de produits financiers envers le marché, les institutions financières et les professionnels.
À propos du Québec et de la situation des épargnants
Q7 — Les épargnants québécois ont un rattrapage à faire pour rejoindre le niveau de leurs compatriotes canadiens, surtout ontariens. Comment fait-on selon vous pour combler cet écart?
EG — C’est un travail qui revient à tous. À l’épargnant, d’abord, qui doit s’intéresser à sa situation financière, qui doit améliorer sa littératie financière. ÉducÉpargne, le Mois de la littératie financière, le Mois de la planification financière, les campagnes de sensibilisation et d’information d’organismes comme Option consommateurs ou les ACEF contribuent, chacun à leur manière, à aider les Québécois à voir y plus clair. Toutefois, comme les études du CIRANO1 l’ont démontré, l’un des meilleurs moyens d’assurer un niveau d’épargne comparable à celui des autres Canadiens consiste simplement à faire appel aux services d’un professionnel et à suivre ses recommandations.
« Les conseillers membres de la Chambre de la sécurité financière ont joué un rôle crucial pour soutenir les Québécois aux prises avec des difficultés financières ou qui ont vécu avec anxiété la récente volatilité des marchés. »
Q8 — Malgré les énormes défis actuels pour les travailleurs et l’économie québécoise, le Québec est-il en bonne position pour sortir de la crise provoquée par la pandémie? Quelles sont vos mesures de relance phares?
EG — Cette année seulement, nous prévoyons injecter près de 700 millions de plus, pour un total de 1,8 milliard sur trois ans, afin de soutenir les Québécois et de relancer l’économie. Parmi les mesures annoncées l’automne dernier, 459 millions sont prévus pour favoriser la réintégration sur le marché du travail de ceux qui ont malheureusement perdu leur emploi, 477 millions seront alloués pour accélérer les projets d’investissement des entreprises, 300 millions additionnels iront au Plan pour une économie verte, 247 millions au soutien de la production québécoise et l’achat local, 100 millions seront consacrés à la santé mentale, 117 millions à l’éducation et aux clientèles vulnérables ainsi que 60 millions au secteur du tourisme.
Pour la gestion de la crise sanitaire, notre gouvernement prévoit aussi des dépenses supplémentaires de 1,3 milliard de dollars en santé. Ces sommes viendront combler les primes pour le personnel et les dépenses liées à la formation des nouveaux préposés aux bénéficiaires et au dépistage de la COVID-19.
En fin de compte, les perspectives de sorties de crise, malgré la dette qui demeure préoccupante, sont reluisantes pour le Québec. Tout ne sera pas facile, mais nous sommes en bonne voie.
Par ailleurs, notre gouvernement maintient son programme d’aide d’urgence aux petites et moyennes entreprises, qui vise à favoriser l’accès à des capitaux pour maintenir, consolider ou relancer les activités des entreprises affectées par la pandémie. L’aide d’urgence aux PME se présente sous forme de prêts pouvant atteindre un montant maximal de 50 000 $ pour pallier le manque de liquidités (plus précisément, le fonds de roulement nécessaire au maintien des activités)
Q9 — Que dites-vous aux québécois qui sont inquiets pour leur retraite? Le Québec et les québécois peuvent-ils mieux faire pour assurer leurs vieux jours?
EG — D’abord, avec le projet de loi no 68 que nous venons de présenter, le Québec fait un pas supplémentaire pour favoriser l'épargne privée, qui est l'un des piliers de notre système de revenu de retraite. Ce projet de loi offrira une nouvelle option de régime de retraite adaptée aux réalités d'aujourd'hui, et ce, au bénéfice des travailleurs et des employeurs. Cette initiative vise principalement à permettre la mise en place de régimes de retraite à prestations cibles (RRPC).
En plus d'offrir une nouvelle option d'épargne aux travailleurs et aux travailleuses du Québec, le projet de loi répond aux besoins des employeurs et des employés, notamment en matière de partage des risques financiers. Les régimes à prestations cibles que nous prévoyons instaurer fourniront donc une meilleure protection à la retraite pour les employés que les régimes à cotisations déterminées, car ils offrent le versement d'une rente viagère jusqu'au décès, grâce à la mutualisation des risques.
Au-delà de mesures structurantes comme celle-ci, les Québécois doivent également prendre leur avenir financier en main. Il faut s’en préoccuper plus tôt que tard et aussi, ne surtout pas hésiter à demander l’aide et les conseils d’un professionnel en la matière. Si l’on planifie avec enthousiasme l’achat de biens de consommation importants, il faut avoir le même réflexe quand il s’agit de sa retraite. On doit la planifier.
« Si l’on planifie avec enthousiasme l’achat de biens de consommation importants, il faut avoir le même réflexe quand il s’agit de sa retraite. On doit la planifier. »
Q10 — Est-ce que la génération de nos enfants devra porter un fardeau financier plus important que celle de leurs parents ou grands-parents?
EG — Un gouvernement responsable ne veut pas léguer un fardeau financier plus grand que celui qui incombait aux générations précédentes. Notre devoir, c’est de maintenir et laisser la maison en ordre et cette question constitue l’une de mes priorités. J’ai deux enfants, c’est certain que je pense à eux comme à ceux de millions de Québécois. Nos enfants doivent être fiers de nous comme nous sommes fiers d’eux et de leur apport indispensable à la Cité. On doit leur laisser les moyens de pouvoir un jour mener à bien leurs projets de société et leur léguer un avenir rempli d’espoir.