Mieux comprendre le phénomène des conseillers-robots
par Emmanuelle Gril
Les conseillers-robots sont prisés par de plus en plus de consommateurs qui les considèrent à la fois pratiques et peu gourmands en frais de gestion. Ce phénomène est d’ailleurs en expansion puisqu’environ 11,4 milliards $ d’actifs sont gérés par la quinzaine de conseillers-robots existant actuellement au Canada. On prévoit que ce chiffre pourrait grimper à 24 milliards $ d’ici 2024. Or, plusieurs questions se posent, tant d’un point de vue juridique que du fonctionnement, des avantages et des limites de ces technologies.
Des robots à l’intelligence limitée
D’entrée de jeu, Me Nicolas Vermeys, vice-doyen à l’administration des programmes à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, rappelle que contrairement à ce que l’on pourrait croire, les conseillers-robots n’ont pas recours à l’intelligence artificielle ni aux méthodes d’apprentissage profond. En fait, ils emploient une technologie moins avancée basée sur une vision binaire de la programmation, qui suffit à l’exécution de leurs tâches. « Ils n’ont aucune stratégie de portefeuille comportant des modèles quantitatifs sophistiqués de prévision de marché. En fait, ils offrent peu ou pas de véritables conseils, et ce afin de pouvoir minimiser les frais d’exploitation et ceux facturés aux clients », souligne Me Vermeys.
C’est pourquoi les conseillers-robots sont mieux adaptés aux besoins des investisseurs qui ont une stratégie passive, ceux dont les moyens financiers modestes ne leur donnent pas accès à un conseiller ou un gestionnaire de portefeuille, ou encore ceux qui souhaitent user de la technologie pour avoir accès à des services d’intermédiation correspondant davantage à leurs attentes.
Concernant le cadre juridique, plusieurs lois sont applicables aux conseillers-robots, notamment le Code civil du Québec, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information. Les enjeux reliés à la pertinence et à la sécurité des informations recueillies occupent une place centrale. Par conséquent, les plateformes doivent s’assurer de prendre les mesures nécessaires pour protéger l’intégrité, la disponibilité et la confidentialité de ces données.
Obligations réglementaires
Les conseillers-robots sont également assujettis aux mêmes obligations que les conseillers traditionnels et tombent sous le coup de l’Autorité des marchés financiers. De l’avis de Me Julie Biron, professeure agrégée en droit des affaires à l’Université de Montréal, il serait toutefois contreproductif de leur imposer une réglementation plus stricte, car les mêmes problématiques que celles des intermédiaires de marché traditionnels s’appliquent à eux.
Pour mieux évaluer la réalité sur le terrain, Me Biron indique avoir fait l’exercice en remplissant elle-même huit questionnaires de huit conseillers-robots différents. En ce qui a trait à l’obligation de connaître son client, précisée dans l’article 13.3(1) du Règlement 31-103, elle estime que les questionnaires actuels présentent plusieurs lacunes et ne permettent pas toujours d’évaluer adéquatement la tolérance au risque de l’investisseur ni le moment où les retraits devront être effectués. Un constat d’autant plus préoccupant que la vérification du niveau d’expérience et de connaissances du client laisse également à désirer.
Quant à l’obligation de convenance qui entrera en vigueur le 31 décembre prochain, Me Biron remarque que les conseillers-robots proposent généralement des FNB, des fonds maison et des portefeuilles standardisés, et qu’un doute subsiste donc sur leur capacité à se conformer à celle-ci. « Les conseillers-robots ne mentionnent pas à combien de portefeuilles ils ont accès et donnent en réalité des conseils très conservateurs », note Me Biron.
Pour ce qui est de l’obligation de divulguer les situations de conflit d’intérêts, elle relève qu’il y a un réel manque d’information à ce sujet sur les plateformes, ce qui nuit à la capacité du client à prendre une décision éclairée. « Les renseignements à propos des frais globaux et sur ceux versés aux tiers ne sont pas non plus aisément compréhensibles pour les néophytes », ajoute-t-elle. Or, le principal argument de marketing des conseillers-robots repose sur leur faible coût d’utilisation pour les consommateurs. Dans les faits, il existe d’autres frais qui ne sont pas toujours clairement affichés, par exemple ceux relatifs à la gestion de FNB ou de rééquilibrage de portefeuille.
En conclusion, Me Biron souligne que les conseillers-robots ne sont pas tous égaux et ne conviennent pas non plus à tous les types d’investisseurs. « En revanche, ils sont là pour rester et répondent clairement à un besoin. Les conseillers pourraient les voir comme des outils supplémentaires et les intégrer dans leur offre de services. Cela leur permettrait de gagner en efficacité et de consacrer le temps gagné à travailler sur la relation avec les clients », fait-elle valoir. Autrement dit, l’humain et le conseil personnalisé ont encore leur place dans le portrait!