Transfert de clientèle : cas vécus et leçons à retenir - Cas #4
Cas #4 : vive la famille
Jean Dupriez, LL.L., DAE, Pl. fin.
Commençons par une bien triste et bien réelle histoire.
La défunte « Pâtisserie de Gascogne », connaissez-vous? Fondée en 1952, célèbre dans tout le grand Montréal, reprise par le fils du fondateur, elle a déclaré faillite en 2018, entraînant 200 pertes d’emplois, après une poursuite judiciaire de 1,9 million $ intentée par le père contre son fils. Au final, les vieux parents se retrouvèrent sans le sou et totalement ruinés. Le fils aussi.
Je me permets d’enfoncer une porte ouverte en disant que ce transfert fut « raté ». Que faire pour éviter une telle catastrophe dans notre domaine?
Suzanne et son papa, Georges
Suzanne m’a contacté pour préparer un transfert de clientèle qu’elle planifiait d’acheter.
Après avoir discuté des questions techniques d’évaluation, j’attirai son attention sur un point qui méritait selon moi une attention particulière. Car l’image de la saga Gascogne, dont j’étais un gourmand client, avait surgi dans un coin de mon cerveau…
Suzanne a alors 35 ans et possède avec son conjoint un cabinet de services financiers. Ce cabinet, situé dans une petite ville de notre beau Québec, est en expansion. Georges, le père de Suzanne, vient de fêter ses 70 ans. C’est un vieux routier des services financiers personnels. De temps à autre, il parle de retraite mais, au fond, il n’en a pas envie. L’entente familiale est excellente et tous, parents, frères et sœurs, se réunissent régulièrement dans la bonne humeur. De son côté, Suzanne voit une belle occasion d’accroître sa clientèle en reprenant celle de son père. Quoi de plus naturel?
Oui, mais...
Dans une cession familiale, l’évaluation de la clientèle est certes importante mais il existe d’autres points tout aussi importants pour la survie de saines relations familiales, la survie financière des parents et le succès du transfert. Je pris la liberté d’attirer l’attention de Suzanne sur ces points et lui suggérai de prendre le temps d’y réfléchir :
1) Le succès du transfert
Toutes les parties devraient en ressortir heureuses : Suzanne, son père, les clients. Si l’achat de la clientèle est payé comptant par Suzanne au prix d’évaluation, il ne devrait survenir aucun problème familial car chaque partie aura exécuté sa part du contrat, sans retour de flamme possible.
2) La survie financière des parents
Dans sa planification personnelle de retraite, Georges comptait-il sur le capital représenté par sa clientèle? Si oui, pourrait-il avoir une déception?
D’une part, la clientèle de Georges ne vaut peut-être pas la somme qu’il pensait. Il serait peut-être désagréablement surpris de l’évaluation.
D’autre part, Georges, heureux de voir son enfant assurer la succession des affaires, pourrait être tenté de lui accorder des facilités de paiement. Que se passerait-il pour Georges si Suzanne, pour une raison quelconque (faillite, mauvaise gestion, retrait de permis, divorce, perte de clients importants, invalidité, décès…), devenait incapable de payer son dû?
Bien sûr, si Georges a prudemment planifié sa retraite sans tenir compte de la valeur, future et incertaine, de sa clientèle, il pourra prendre, bien consciemment, le risque de financer Suzanne.
3) La survie de la bonne entente familiale
Une autre perspective qui mérite réflexion : Imaginons que Georges ait concédé un prix de faveur à Suzanne. Quelle sera la réaction des frères et sœurs? Ne crieront-ils pas à l’injustice car il y aura inégalité dans la future succession de leurs parents? N’est-ce pas ainsi que des familles éclatent?
Leçon à retenir par Georges (et par sa chère épouse Georgette) :
Georges est libre de prendre les risques qu’il veut, mais il doit prendre conscience de l’existence de ces risques tant pour la sécurité financière de son couple que pour la pérennité de l’harmonie familiale.
Leçon à retenir par Suzanne :
De son côté, Suzanne doit tenir compte des mêmes éléments. De plus, à notre époque où la maltraitance financière de nos ainés fait régulièrement les manchettes des médias, elle doit faire preuve de prudence.
Dans le cadre de ses activités d’évaluation de clientèle, Jean Dupriez a observé, au fil des ans, toutes sortes de situations fâcheuses qui ont pu causer des frustrations, des litiges et même des pertes financières lors du transfert d’un portefeuille de clients. Il a décidé de partager sa longue expérience en la matière dans une série de textes qui relatent des évènements réels, qui ont parfois conduit à des dommages substantiels pour le vendeur et/ou l'acheteur concernés. Présentés sous forme de cas vécus, ils seront suivis d’une courte analyse et de conseils pratiques pour les éviter. |