Consultation sur les OAR en valeurs mobilières : Comment les investisseurs envisagent le futur encadrement des conseillers

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La préservation des droits des consommateurs constitue une responsabilité importante des organismes d’autoréglementation (OAR). Les défenseurs de ces droits estiment donc que la révision de l’encadrement canadien doit viser une amélioration de cette protection.

En décembre 2019, les Autorités canadiennes des valeurs mobilières (ACVM) ont annoncé l’amorce d’une réflexion sur l’encadrement des OAR canadiens en valeurs mobilières. Tous les intermédiaires qui distribuent des fonds communs de placement sont concernés. En effet, la révision porte sur l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

Une première période de consultation des acteurs de l’industrie par les ACVM a pris fin le 23 octobre. Certains défenseurs des droits des investisseurs ont profité de l’occasion pour présenter leurs revendications. Ils réfléchissent aussi depuis un certain temps au projet maintes fois évoqué de fusion de l’ACFM et de l’OCRCVM, qui suscite chez eux des réactions variées.

 

« Du vieux vin dans une nouvelle bouteille »

Neil Gross a travaillé trente ans comme avocat spécialisé dans la défense des investisseurs. Il a aussi été directeur général de FAIR Canada et préside aujourd’hui le Comité consultatif des investisseurs de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO). La réflexion actuelle des ACVM sur les OAR le laisse sur sa faim.

«  Je ne doute pas que le projet vise à créer un meilleur organisme, mais pour qui? demande-t-il. S’il s’agit simplement de le rendre plus efficace et moins coûteux pour les acteurs de l’industrie, nous finirons probablement avec un organisme unique, mais qui sera comme du vieux vin dans une nouvelle bouteille.  »

Il rappelle que les services financiers forment une communauté de deux groupes — l’industrie et les consommateurs — dont les besoins et les intérêts s’entrelacent. Présentement, l’autoréglementation serait selon lui entièrement tournée vers l’industrie. Il souhaite la voir évoluer vers une autoréglementation pour l’ensemble de la communauté. «  Pour y arriver, il faudra créer un organisme au sein duquel l’industrie et les consommateurs agiront comme partenaires à part entière et à tous les niveaux, y compris dans la gouvernance  », avance Neil Gross.

 

Plus de place pour les consommateurs

Le nouveau directeur général de FAIR Canada, Jean-Paul Bureaud, estime que les OAR sont empreints d’un inévitable conflit d’intérêts, puisque l’industrie se police elle-même. Selon lui, cela explique l’orientation de la discussion actuelle, qui porte surtout sur la réduction du fardeau de la conformité que les OAR feraient peser sur les firmes et sur la diminution des coûts. Ce sont les principaux arguments que l’on entend notamment chez les promoteurs d’une fusion entre l’ACFM et l’OCRCVM.

Il faudra créer un organisme au sein duquel l’industrie et les consommateurs agiront comme partenaires à part entière et à tous les niveaux, y compris dans la gouvernance. 

Neil Gross

«  La question centrale devrait plutôt être  : les OAR répondent-ils bien aux attentes en matière de protection du public? oppose Jean-Paul Bureaud. Nous sommes loin d’en être convaincus.  » Il cite entre autres ce qu’il perçoit comme un manque d’indépendance des membres du conseil d’administration (CA) ou encore le fait que la réglementation vise beaucoup les conseillers, mais moins les cabinets, lesquels ont pourtant le devoir de superviser leurs représentants.

«  Les OAR agissent comme une agence gouvernementale puisqu’ils exercent une autorité réglementaire que les organismes d’encadrement provinciaux leur délèguent, poursuit Jean-Paul Bureaud. Ils doivent donc servir l’intérêt du public. Si la gouvernance de l’organisme est aux mains de l’industrie, cela mine la confiance du public.  »

Présentement, les conseils d’administration de l’OCRCVM et de l’ACFM sont composés à parts égales de membres de l’industrie et de membres indépendants, dont plusieurs sont toutefois des anciens de l’industrie ou des gens qui y sont liés de près. En avril dernier, un rapport du forum sur l’autoréglementation de l’industrie de l’investissement1 proposait que les CA soient composés d’une majorité de membres indépendants et que le président soit toujours un administrateur indépendant. Le forum avance aussi que les OAR devraient tous avoir un comité consultatif d’investisseurs.

C’est la relation entre le client et le conseiller qui devrait se trouver au cœur de l’encadrement, pas le produit.

Jean-Paul Bureaud

En mars 2020, l’OCRCVM a annoncé la création d’un groupe d’experts responsable des questions touchant les investisseurs. Jusque-là, l’organisme identifiait les enjeux et les points de vue des consommateurs par l’entremise de sondages quantitatifs en ligne menés auprès d’un panel de 10 000 investisseurs canadiens. En juin 2020, l’OCRCVM a également admis qu’il explorait des approches pour intégrer à son arsenal réglementaire le dédommagement des investisseurs floués par des représentants de l’industrie. Présentement, il n’a pas l’autorité pour agir ainsi.

«  Le rapport du forum et les annonces de l’OCRCVM semblent indiquer que des membres de l’industrie reconnaissent le rôle majeur que les OAR jouent pour maintenir la confiance du public envers le système  », estime Jean-Paul Bureaud.

 

Changement de culture

De son côté, Ken Kivenko, président de Kenmar Associates, un organisme indépendant de défense des investisseurs, note que pour l’instant les ACVM n’ont pas émis de propositions claires et n’évoquent pas elles-mêmes la fusion de l’OCRCVM et de l’ACFM. Elles ont simplement dressé une liste de ce qu’elles considèrent comme des inefficacités du fonctionnement actuel des OAR canadiens.

Pour cette raison, Kenmar Associates n’utilise pas non plus le terme «  fusion  ». «  Une fusion signifie généralement qu’un organisme avale l’autre ou que deux organisations combinent leur structure, rappelle-t-il. La plupart des défenseurs des droits des investisseurs souhaitent plutôt la création d’un nouvel OAR, basé sur une toute nouvelle culture.  »

D’après lui, les ACVM feront fausse route si elles se limitent à régler des ennuis mécaniques. Le nœud du problème, toujours selon Ken Kivenko, est le risque de conflit d’intérêts que pose l’autoréglementation. Il salue la nomination au CA de l’OCRCVM l’an dernier de l’avocat Malcolm Heins, qui a beaucoup d’expérience dans l’encadrement financier, notamment du côté de la CVMO, et de Laura Tamblyn Watts, PDG de CanAge, un organisme voué aux droits des aînés.

«  Mais nous avons dû insister pendant onze ans pour que les investisseurs puissent avoir une voix au CA, déplore Ken Kivenko. De la même manière, le groupe d’experts responsable des questions touchant les investisseurs que l’OCRCVM met sur pied, nous le réclamions depuis vingt ans.  » Il ajoute que le terme «  autoréglementation  » devrait signifier que les firmes, les conseillers et les consommateurs se donnent des règles et en assurent le respect.

Le PDG d’Advocis, Greg Pollock, juge valide cette crainte du conflit d’intérêts exprimée par des groupes de défense des consommateurs. «  Nous réclamons depuis longtemps que les conseillers soient représentés aux CA des OAR canadiens et il semble normal que les consommateurs y siègent, soutient-il. Cela rendrait ces instances plus inclusives et assurerait une meilleure prise en compte des besoins de l’ensemble de la communauté.  » Au Québec, les conseillers siègent déjà au CA de la Chambre. Advocis, qui représente 13 000 conseillers financiers au Canada, milite pour la fusion des deux OAR, mais également pour une gouvernance plus représentative.

 

Un encadrement basé sur le conseil

Les défenseurs des consommateurs s’entendent sur deux points supplémentaires  : les avantages de l’approche multidisciplinaire préconisée au Québec par la CSF et la nécessité de faire évoluer les OAR d’un encadrement par produit à un autre basé sur le conseil. Le récent rapport du Forum sur l’autoréglementation de l’industrie de l’investissement revendique aussi ce passage à un encadrement centré sur le conseil. «  C’est la relation entre le client et le conseiller qui devrait se trouver au cœur de l’encadrement, pas le produit  », croit Jean-Paul Bureaud.

Dans son mémoire2 déposé dans le cadre de la consultation des ACVM, le Groupe de recherche en droit des services financiers de l’Université Laval résume bien cette nécessaire transformation. «  L’encadrement envisagé maintiendrait le modèle de l’autoréglementation, mais devrait être conçu selon une approche holistique et cohérente qui couvre l’ensemble des services d’investissement, c’est-à-dire les services de conseil en placement, de gestion de portefeuille, de négociation en valeurs mobilières et de planification financière. Cette approche holistique devrait aussi être axée non pas sur les produits, mais sur les activités exercées par les intermédiaires en tenant compte de la convergence des services offerts.  » Selon le groupe de recherche, les entreprises comme les membres de leur direction et leurs représentants devraient être soumis à ces OAR. Les auteurs du mémoire affirment que l’ACFM propose des changements semblables aux leurs, mais mettent de l’avant une autre possibilité. «  Une piste de solution alternative consisterait à élargir les pouvoirs de la CSF afin de reconnaître celle-ci comme OAR à l’égard des trois groupes d’acteurs en épargne collective, soit les courtiers, leurs dirigeants et leurs représentants exerçant leurs activités au Québec. Cette solution permettrait de préserver les avantages qu’offre la CSF au Québec, incluant la surveillance de proximité, le personnel qualifié et l’encadrement unifié des représentants œuvrant dans les secteurs assujettis à la LDPSF.  »

Pour Ken Kivenko, la réflexion actuelle représente une chance de refonder l’encadrement des acteurs de l’industrie sur des bases plus saines. «  La question reste de savoir si les ACVM profiteront de cette occasion, ou se contenteront d’une simple fusion, sans modifier la culture  », conclut-il.

La question reste de savoir si les ACVM profiteront de cette occasion, ou se contenteront d’une simple fusion, sans modifier la culture. 

Ken Kivenko