Intégration des facteurs ESG à la caisse de dépôt : L'exemple institutionnel

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Intégration des facteurs ESG à la caisse de dépôt : L'exemple institutionnel

La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) doit assurer la prospérité et la protection des dépôts de ses clients, dont la grande majorité se compose de régimes de retraite. C’est dans cette optique qu’elle a établi son approche de l’investissement durable. Nous en avons discuté avec son chef de l’investissement durable, Bertrand Millot.

« L’intégration des facteurs ESG sert à créer de la valeur en positionnant notre portefeuille judicieusement et à nous mettre à l’abri de certains risques, explique Bertrand Millot. Faire la bonne chose pour la planète en découle, mais l’objectif primaire reste d’obtenir un rendement et un positionnement maximal du portefeuille, pour assurer l’avenir des retraites au Québec. »

La CDPQ voit une corrélation entre l’approche ESG d’une entreprise et sa performance. Réussir à bien gérer la durabilité exigerait une culture d’entreprise ouverte, agile, axée sur la collaboration, la diversité et l’inclusion et la mobilisation du personnel. Or, ce sont des facteurs de succès aussi sur le plan du rendement de la société.

L’investissement durable comporte également une fonction défensive. Bertrand Millot rappelle que les exemples de destruction de valeur liée à une mauvaise gestion des questions ESG abondent depuis plusieurs années. Il cite pêle-mêle les écrasements de deux Boeing 767 Max, qui ont révélé des problèmes de gouvernance majeurs, le « dieselgate » de Volkswagen ou encore les frasques sexuelles d’Harvey Weinstein. « C’est donc essentiel de tenir compte des facteurs ESG, et notamment de la qualité de la gouvernance, pour protéger la valeur des investissements de la Caisse. »

 

De nouveaux objectifs

Sur le plan climatique, la CDPQ s’est engagée à détenir un portefeuille net zéro d’ici 2050 et devrait être entièrement sortie du secteur de la production pétrolière dès cette année. Elle entend tripler la valeur de son portefeuille d’actifs sobres en carbone par rapport à 2017, afin d’atteindre 54 milliards de dollars d’ici 2025. La Caisse sélectionne ces actifs « verts » en se basant sur les critères de la Climate Bonds Initiative (CBI).

L’an dernier, elle rehaussait la cible de réduction de l’intensité carbone de son portefeuille à 60 % d’ici 2030. Elle intègre donc le facteur climatique dans toutes ses décisions d’investissement, en plus de lier l’atteinte des objectifs climatiques à la portion variable de la rémunération de ses équipes. Elle a par ailleurs créé une enveloppe de transition de 10 milliards de dollars pour contribuer à la décarbonation des grands secteurs émetteurs de carbone.

La Caisse a en outre des objectifs sur le plan social, notamment dans la lutte contre les « planifications fiscales abusives » et dans l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). Elle a lancé en 2020 le fonds Équité 253, qui dispose de 250 millions de dollars à déployer sur quatre ans pour appuyer des entreprises canadiennes qui misent sur l’EDI comme moteurs de performance. Actuellement, les femmes occupent 39 % des sièges de son comité de direction et un quart de ses postes en investissement alors qu’un quart de ses employés s’identifie aux minorités visibles ou ethniques ou aux peuples autochtones.

Consciente de son poids comme grand investisseur, elle s’efforce d’engager les administrateurs et dirigeants des entreprises à améliorer leur bilan ESG et n’hésite pas à utiliser son vote d’actionnaires. « Nous votons, par exemple, contre la réélection des présidents des sous-comités de nomination des administrateurs ou contre les présidents de conseils d’administration des entreprises qui n’ont pas au moins 30 % de femmes dans leur CA », illustre Bertrand Millot.

L’intégration des facteurs ESG sert à créer de la valeur en positionnant notre portefeuille judicieusement et à nous mettre à l’abri de certains risques. 

Bertrand Millot

 

Une forme de risque

Malgré l’importance qu’elle accorde à la qualité de la gouvernance des entreprises de son portefeuille, la CDPQ n’est pas à l’abri des erreurs. Son investissement dans Celsius Network — une société de prêt de cryptoactifs du New Jersey dont la mauvaise gouvernance a été mise sur la sellette lors de sa faillite en 2022 — lui a valu plusieurs critiques. Le président de la CDPQ, Charles Emond, a soutenu publiquement qu’il s’agissait d’une exception dans le vaste portefeuille de la Caisse et que la vérification diligente n’était pas toujours garante de succès.

Sans vouloir commenter ce cas directement, Bertrand Millot rappelle que tout investissement présente une part d’incertitude. « Dans certains secteurs, comme les mines, les dangers liés aux facteurs ESG et à la volatilité sont plus élevés, mais puisqu’un investisseur de notre taille doit conserver un portefeuille très diversifié, nous devons faire des choix. »

Nous tentons toujours de sélectionner les meilleurs dans chaque secteur, mais ça n’élimine pas complètement le risque qu’un investissement tourne mal.

Bertrand Millot

 

Chef de file

La Caisse estime par ailleurs avoir l’obligation morale de servir de modèle de durabilité aux plus petits gestionnaires. Cela passe en partie par de la transparence dans ses processus de décision, mais aussi par des discussions ou rencontres avec des gestionnaires pour présenter son approche.

La CDPQ s’engage auprès d’organismes locaux ou internationaux, comme Finance Montréal, dont elle a signé la Déclaration de la place financière québécoise pour une finance durable. Elle siège au conseil d’administration et à plusieurs comités de l’Alliance des propriétaires d’actifs Net Zéro. Elle participe à l’Investor Leadership Network et a rallié la Sustainable Markets Initiative, une coalition du milieu de la finance internationale pour accélérer la transition vers une économie plus durable. « Nous avons les moyens de contribuer à ces initiatives et d’effectuer des travaux techniques qui bénéficient par la suite à de plus petits fonds », précise Bertrand Millot.

Reste que le contexte actuel semble moins favorable aux titres ESG. Ceux qui investissent à court terme constatent que les énergies fossiles ont pris beaucoup de valeur en Bourse depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine. Aux États-Unis, un véritable mouvement anti- ESG s’est mis en branle dans plusieurs États républicains. Les gouvernements de la Floride, de la Virginie-Occidentale, de l’Utah, du Minnesota, de la Louisiane et de l’Arizona ont proposé des lois pour empêcher les institutions de ces États de coopérer avec des gestionnaires qui intègrent les facteurs ESG dans leurs décisions. Un récent sondage de KPMG indiquait que 48 % des gestionnaires d’actifs nord-américains, européens et de l’Asie- Pacifique comptaient mettre leur stratégie ESG sur pause ou la réévaluer en 2022.

Bertrand Millot considère que le contexte actuel sur les marchés ne nuira pas à long terme à l’investissement ESG, puisque les défis qui rendent urgent le virage vers la finance durable n’ont pas disparu. Cependant, il reconnaît suivre avec une certaine inquiétude le mouvement anti-ESG au sud de la frontière. « Nous espérons que cela ne s’étendra pas, mais nous devons en tenir compte dans notre positionnement », admet-il.

ACTIF NET DE LA CDPQ
AU 31 DÉCEMBRE 2021 :

420 G$.


EN 2021, LA CDPQ DÉTENAIT

39 G$

EN ACTIFS SOBRES EN CARBONE.


EN 2021, LA CDPQ AVAIT
RÉDUIT L’INTENSITÉ CARBONE
DE SON PORTEFEUILLE DE

49 %

PAR RAPPORT À 2017 ET 79 %
DE SON PORTEFEUILLE
ÉTAIT COMPOSÉ D’ACTIFS SOBRES
OU FAIBLES EN CARBONE.


EN 2021, LA CAISSE
A DISCUTÉ ESG AVEC

194

ENTREPRISES
DE SON PORTEFEUILLE.

Source : Rapport d’investissement durable 2021
de la CDPQ