Intelligence artificielle et finance durable : un mariage de raison
L’intelligence artificielle peut-elle outiller la finance afin d’accélérer la réalisation des objectifs de développement durable? Deux experts ont débattu de cette question brûlante d’actualité lors d’un webinaire proposé par l’Université de Montréal le 13 avril dernier. Résumé des grands constats posés lors de cette discussion.
Adopter une finance durable et opter pour des investissements verts nécessite d’inclure les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans l’équation. Or, ce changement de cap requiert aussi de mettre en œuvre des stratégies et des pratiques qui permettront de générer des retombées positives tant pour l’économie que les communautés et l’environnement.
Pour relever les nombreux défis qui y sont reliés, faciliter et même accélérer cette transition, l’intelligence artificielle (IA) peut apporter sa contribution. D’ailleurs, rappelons que Montréal accueille un important pôle de recherche dans ce domaine ainsi que des chercheurs internationalement reconnus. Elle a aussi été le siège de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle.
Le cadre des objectifs de développement durable
Natalie St-Pierre est présidente de SDG Capital. Cette entrepreneure d’impact experte en objectifs de développement durable (ODD) estime que les technologies constituent un levier de succès, d’où l’intérêt d’avoir recours à l’IA pour aider à mettre en œuvre ces objectifs.
Les ODD sont au nombre de 17 et constituent un cadre établi par les Nations-Unies auquel 193 pays ont adhéré en 2015. Ils touchent différents enjeux comme la pauvreté, les inégalités, le climat, l’environnement, la paix, la justice, etc. Interdépendants les uns des autres, ils donnent la marche à suivre pour assurer un avenir meilleur et plus durable à la population mondiale.
« Ce cadre nous offre un langage commun qui permet de mesurer les impacts, de mieux se comprendre et faire en sorte que les experts ne travaillent plus en silo. Au bout du compte, cela favorise l’harmonisation des actions et aide à progresser », indique-t-elle.
Elle cite en exemple la question de la valorisation du travail invisible et non rémunéré entourant les tâches domestiques, les soins aux enfants et aux aînés, qui est habituellement réalisé par des femmes. « Cette problématique est reliée à la fois aux objectifs 5 (égalité entre les sexes), 8 (travail décent et croissance économique) et 10 (réduction des inégalités). Or, lorsqu’on analyse cet enjeu sous l’angle du développement durable, on parvient à dégager plusieurs pistes intéressantes nous ramenant à la source du problème au lieu d’essayer de régler uniquement les symptômes », précise Mme St-Pierre. Elle ajoute que pour apporter et mettre en place de véritables solutions systémiques, en plus de faire preuve d’innovation, il faudra notamment se doter d’une gouvernance inclusive.
Elle insiste aussi sur le fait qu’il est temps de faire un changement de paradigme et d’adopter un mode de pensée différent où les organisations et les personnes ne seront plus en compétition. « Je le vois plutôt comme une course à relais où chacun apporte sa contribution », dit-elle. Enfin, Mme St-Pierre a bon espoir que le solide écosystème en IA au Québec lui permettra de devenir l’un des leaders mondiaux et d’apporter des solutions ODD nouvelles aux grands défis du développement durable.
Mesurer l’empreinte carbone des portefeuilles de placement
Manuel Morales est chercheur et professeur au département de mathématiques et de statistique de l’Université de Montréal. Il souligne que de nouveaux cadres de référence émergent, forçant la divulgation des impacts environnementaux entourant la finance. Ainsi, les critères ESG permettent d’évaluer les répercussions des investissements en termes environnementaux, sociétaux et de gouvernance. « La science des données et l’IA facilitent le virage du secteur financier vers les investissements durables et permettent de le faire avec transparence, notamment en matière de gouvernance », souligne-t-il.
Le premier pas vers des investissements plus durables consiste à déterminer l’empreinte carbone des différents portefeuilles de placements. Cette information est cruciale pour les gros investisseurs qui doivent cependant garder en tête leurs cibles de rendement.
Cet enjeu est particulièrement complexe, car qui dit placements, dit aussi une grande variété d’investissements, tant dans les valeurs mobilières que dans toutes sortes d’entreprises et de projets, immobiliers par exemple. En collectant et en analysant les données, l’IA permet de déterminer les émissions de carbone générées par ces différents investissements. « Elle aide aussi à analyser les plans de transition mis en place par les organisations visant à modifier leurs opérations afin de les rendre plus vertes et plus durables », précise Manuel Morales. Dans ce cas, il faudra donc passer au crible les rapports ESG et en extraire l’information pertinente, une tâche où l’IA est particulièrement utile.
On le voit, le défi est grand et on commence à peine à en prendre la pleine mesure. « Mais la finance durable est l’un des leviers qui permettront d’atteindre les ODD. Ce n’est pas la panacée, mais il constitue un outil supplémentaire dans le cadre d’une véritable révolution et d’un changement de société », conclut le professeur.
À lire aussi
COMMUNIQUÉ DE PRESSE