Transfert de clientèle : cas vécus et leçons à retenir - Cas #1
Cas #1/ Albert et Bernard avaient-ils deux clientèles compatibles?
Jean Dupriez, LL.L., DAE, Pl. fin.
Je vous raconte aujourd’hui l’histoire d’Albert, vendeur, et Bernard, acheteur.
Albert avait préparé un descriptif extrêmement détaillé de sa clientèle d’investisseurs. Une clientèle fidèle depuis 21 ans en moyenne. Il avait aussi établi une liste de 7 acheteurs potentiels qu’il connaissait au sein de la compagnie de courtage à laquelle il était affilié.
Il souhaitait trouver un successeur qui ait au moins 15 années d’expérience.
Cinq furent rapidement éliminés parce que leur pratique et leur clientèle étaient trop différentes de la sienne. Il lui restait donc deux candidats qualifiés.
Des rencontres d’échanges d’information suivies de négociations sur le prix eurent lieu avec les deux candidats. Pour finir, Bernard fit une proposition ferme à Albert et le contrat fut signé, puis exécuté très correctement avec les petits ajustements habituels selon la clause de rétention.
Bernard, de son côté, « prit livraison » de la clientèle dont l’essentiel (les gros clients) fit l’objet de rencontres de présentations personnelles avec ancien et nouveau conseillers.
À l’expiration des 6 mois de la clause de rétention, 94% des clients avaient adopté leur nouveau conseiller. Il apparaissait donc que ce transfert était réussi.
Pourtant, plusieurs clients quittèrent leur nouveau conseiller au bout de moins de deux ans seulement. Ce transfert était-il encore aussi réussi que cela.
Oui, mais…
Pour réussir un transfert de clientèle, il est bon, selon mon expérience, qu’il y ait une certaine similarité entre les principales caractéristiques des clientèles de l’ancien et du nouveau conseiller.
Examinons trois caractéristiques en particulier :
- Segmentation des genres de clients
Les clients d’Albert étaient segmentés en fonction de leur formation académique et de leur profession. Le groupe principal était composé d’ingénieurs de 45 ans et plus. Un autre groupe possédait plutôt une formation en sciences humaines.
À retenir : il aurait été important que le nouveau conseiller aime traiter avec les ingénieurs. Ce sont des gens très méthodiques qui exigent des justifications claires et concises de la part de leurs interlocuteurs. Or, Albert a fourni à ses clients ingénieurs des rapports impersonnels générés par des ordinateurs. Plusieurs espéraient plus. Insatisfaits du changement, ils ont dit adieu à Bernard.
- Dispersion fiscale
Un client aisé fouillera plus les implications fiscales qu’un client moins aisé. Albert avait concentré ses efforts sur le rendement des placements. Les aspects fiscaux étaient traités en coordination avec différents comptables et conseillers fiscaux. Bernard proposa aux nouveaux clients acquis de tout rapatrier chez lui, ce qui ne plut pas à tous. Certains le quittèrent pour cette raison.
À retenir : Bernard n’a pas pris le temps d’accréditer ses compétences fiscales auprès des nouveaux clients. Une relation à long terme ne se bâtit-elle pas avec beaucoup de patience, voire de lenteur?
- Segmentation entre « gros » et « petits » clients
Par ailleurs, Bernard décida de « revendre » rapidement le segment « petits clients » à son confrère Charles. Plusieurs années plus tard, certains d’entre eux rencontrèrent Albert, alors retraité. Ils lui signalèrent n’avoir pas rencontré Charles, le nouveau conseiller, une seule fois. Ceci créa une déception chez Albert qui connaissait bien chacun de ses clients, les gros comme les petits.
À retenir : N’aurait-il pas été plus efficace pour la fierté professionnelle d’Albert qu’il se charge personnellement de choisir un nouveau conseiller pour ses « petits clients »?
Le vendeur devrait-il diviser ou segmenter sa clientèle pour trouver des acheteurs adéquats pour chaque type ou chaque bloc de clientèles? Un bloc de clients ne constitue pas une marchandise en vrac.
La principale leçon à retenir
Tant pour l’efficacité professionnelle du nouveau conseiller financier que pour la conservation des nouveaux clients acquis, une certaine homogénéité de la clientèle sera un élément positif pour le succès d’un transfert de clientèle. Il est important que les parties en prennent conscience.
Dans une prochaine chronique, nous traiterons de la question de la compatibilité des convictions du vendeur et de l’acheteur.
Dans le cadre de ses activités d’évaluation de clientèle, Jean Dupriez a observé, au fil des ans, toutes sortes de situations fâcheuses qui ont pu causer des frustrations, des litiges et même des pertes financières lors du transfert d’un portefeuille de clients. Il a décidé de partager sa longue expérience en la matière dans une série de textes qui relatent des évènements réels, qui ont parfois conduit à des dommages substantiels pour le vendeur et/ou l'acheteur concernés. Présentés sous forme de cas vécus, ils seront suivis d’une courte analyse et de conseils pratiques pour les éviter. |