Contacts humains et télétravail : peut-on compenser les manques?
Dès la mi-mars, la pandémie a forcé toutes les entreprises à se mettre au diapason de la distanciation physique. Le télétravail a été généralisé et la grande majorité des employés ont commencé à effectuer leurs tâches à distance. Est-ce la panacée pour autant?
Avec la crise sanitaire, même les entreprises les plus réfractaires au télétravail ont dû suivre les consignes de la santé publique. Et malgré les nombreux ajustements nécessaires, en particulier technologiques, la transition s’est relativement bien déroulée.
Cependant, tout n’est pas rose au royaume du télétravail. Ainsi, après une période de lune de miel et la découverte de nouveaux outils comme Teams ou Zoom, l’attrait de la nouveauté s’est essoufflé. Le côté rafraîchissant des vidéoconférences a laissé place à la lassitude et aux questionnements sur la réelle efficacité de ce mode de communication. La difficulté à mener à bien des rencontres réunissant de nombreuses personnes, ou encore le laisser-aller de certains participants ont aussi soulevé les critiques.
D’autres se sont plaints d’être cruellement privés de contacts sociaux et d’interactions informelles avec les collègues, qui peuvent déboucher sur nouvelles idées, conseils ou références. Bref, après des débuts prometteurs, le télétravail ne fait pas l’unanimité et plusieurs espèrent pouvoir retourner rapidement au bureau. Qu’en pensent les experts?
Trouver des moyens de substitution
Tania Saba, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance, s’est penchée sur la question du télétravail. Avec une équipe de chercheurs en France et au Québec, elle a mené une enquête auprès de 4 000 entreprises, entre avril et juin dernier. « Avant la COVID-19, peu d’organisations avaient adopté le télétravail de façon systématique. Quand le virus a frappé, il a été rapidement introduit et est devenu la norme. Nous voulions voir quelles leçons nous pouvions en tirer », explique-t-elle.
L’enjeu de l’isolement social a été abordé et deux dimensions ont émergé. Tout d’abord, le fait de ne pas savoir sur quels dossiers travaillent les autres membres de l’équipe rend la circulation de l’information informelle entre collègues plus difficile. Par ailleurs, le sentiment d’être coupé des décisions organisationnelles en inquiète plusieurs. « Parce que l’employé estime qu’il est ‘’moins visible’’, la rétroaction perd en fluidité. Les jeunes, particulièrement, craignent que cet éloignement du centre décisionnel ne nuise à leur carrière », précise Tania Saba.
La professeure souligne également que l’une des erreurs est de croire que l’on peut transposer ses tâches telles quelles à distance. Un effort d’adaptation est nécessaire, par exemple les réunions en vidéoconférence ne peuvent se dérouler de la même façon qu’en présentiel. Il y a une étiquette à respecter, couper le son micro, « lever la main » pour demander la parole, etc.
Comment pallier le manque de contacts humains qui découle du télétravail? « Il existe des moyens de substitution. On peut planifier des marches entre collègues, pour discuter et renouer les liens. On peut aussi avoir recours aux salles de rencontres virtuelles pour échanger en petits groupes de façon informelle. Il n’est pas toujours nécessaire de se retrouver autour de la machine à café, il y a plusieurs possibilités à explorer, et ce d’autant que les technologies évoluent constamment », souligne Tania Saba.
Elle constate aussi que dans l’ensemble, le télétravail a remporté un vif succès auprès des employés, notamment parce qu’il permet de concilier plus facilement vie professionnelle et vie personnelle. Enfin, malgré l’éloignement physique, la productivité a été au rendez-vous, même si les tâches qui nécessitaient une forte interdépendance entre les personnes semblaient plus difficiles à accomplir, comparativement à celles réalisées par des personnes qui travaillent en autonomie.
Développer empathie et authenticité
Pour sa part, Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations, apporte une nuance importante. Selon elle, il faut distinguer le télétravail du confinement. « Le télétravail signifie que l’on mène ses activités ailleurs que dans son bureau. On peut donc se déplacer chez des clients, travailler dans des espaces de coworking, etc. Cela ne met pas fin aux contacts sociaux », analyse-t-elle.
En revanche, les mesures de confinement nous ont forcés à nous isoler les uns des autres, ce qui a accentué le besoin de rencontrer d’autres personnes. « Qui plus est, on ne savait pas combien de temps cela allait durer, ce qui a pu augmenter l’anxiété des individus », note-t-elle.
Mais est-il possible d’avoir un réel contact humain devant nos écrans? Estelle Morin soutient que le niveau d’interactivité peut compenser le manque d’interactions physiques. « Si on laisse tomber les masques et qu’on fait preuve d’empathie et d’authenticité, il est possible de recréer des liens malgré la distance. Il faut développer un sentiment de proximité, ce qui se construit grâce à la qualité de l’échange », précise-t-elle. La fréquence des contacts virtuels, en particulier au début et même s’ils sont de courte durée, est également indispensable. « Cela aide à comprendre et à intérioriser les façons de faire et de penser de l’autre », illustre Mme Morin.
Elle constate toutefois qu’idéalement, une ou des rencontres préalables en personne facilitent la création de liens qui pourront ensuite être entretenus à distance. Par conséquent, même si le télétravail est là pour rester, une formule hybride combinant les deux semble être le meilleur des mondes.
Dernier conseil : utiliser le bon moyen de communication en fonction du besoin. « Un message texte est moins intrusif et permet de demander des informations rapidement. Il remplace avantageusement le courriel, qui lui se prête bien aux explications plus longues ou à l’envoi de documents par exemple », illustre-t-elle.
En somme, même si le télétravail n’a pas réponse à tout, bien utilisé il s’avère un outil très efficace. « C’est dommage que l’on ait eu besoin d’une crise sanitaire pour s’en rendre compte! », conclut Estelle Morin.