Gérer l'arrivée d'un proche aidant
Le client d’un conseiller peut à un certain moment avoir besoin de l’appui d’une personne proche aidante (PPA). Cette situation exige de la vigilance et de la prudence de la part des membres de la Chambre.
Le Québec compte près de 1 500 000 PPA, selon le gouvernement du Québec. En octobre 2020, ce dernier a adopté la Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes, avant de lancer un plan d’action un an plus tard. Ce plan visait notamment à prévenir les risques d’appauvrissement des PPA, qui doivent parfois quitter leur emploi ou travailler moins d’heures et peuvent engager de nouvelles dépenses.
Les membres de la Chambre sont souvent bien placés pour accompagner leurs clients vieillissants dans la préparation à la présence d’une PPA dans leur vie et pour soutenir le coût financier de cette relation. Mais par où commencer?
Ne pas attendre l'urgence
À BMO, François Martel, vice-président régional, planification financière pour le Québec, l’Est de l’Ontario et l’Atlantique, note que les clients n’abordent que très rarement cette question avec leur conseiller avant d’avoir reçu une mauvaise nouvelle. « C’est souvent sous le choc d’un diagnostic que la réalité les frappe, déplore-t-il. Je crois que les conseillers devraient en discuter avec eux assez tôt, pour amorcer une planification. »
Pour lui, le premier élément à mettre sur le radar des clients vieillissants est l’importance d’en jaser avec leurs proches. « Les personnes âgées tiennent fréquemment pour acquis que leurs enfants s’occuperont d’eux, mais parfois, des enfants ne veulent pas ou ne peuvent pas assumer ce rôle. »
La désignation d’une personne pour veiller à certaines responsabilités, notamment la gestion financière, peut par ailleurs créer du ressentiment ou de l’inquiétude chez d’autres membres de la famille. « L’idéal est donc de mettre cartes sur table, de demander à la personne visée si elle accepte le rôle qu’on souhaite lui confier et d’expliquer ses décisions à l’ensemble de la famille », suggère François Martel.
L’idéal est de mettre cartes sur table, de demander à la personne visée si elle accepte le rôle qu’on veut lui confier et d’expliquer ses décisions à l’ensemble de la famille.
Ensuite, un suivi régulier s’impose. La situation de la personne appelée à devenir proche aidante peut toujours changer. Elle peut, par exemple, donner naissance à un enfant ou vivre elle-même un problème de santé qui diminue sa capacité d’aider.
Prévoir les coûts
Comme le rôle du conseiller se situe d’abord et avant tout du côté des finances et de la protection financière de son client, il doit inclure dans son travail la perspective d’une perte d’autonomie et du recours à une PPA.
« La planification financière joue un rôle incontournable à cet égard, avance Simon Brochu, conseiller principal en gestion de patrimoine et planificateur financier chez Desjardins. On peut adapter les produits financiers choisis et la quantité d’épargne à certains besoins, comme la compensation ou la rémunération de la PPA. »
Il n’existe pas vraiment de produits financiers spécifiques pour payer une PPA. Les épargnants utiliseront donc généralement des moyens traditionnels, tels des virements bancaires, automatisés ou non, des chèques ou de l’argent comptant. Ils peuvent aussi ouvrir un compte consacré à cette dépense, comme pour tout autre objectif d’épargne. Certaines couvertures d’assurance (maladie grave, perte d’autonomie, etc.) peuvent aider à assumer ces coûts.
Les conseillers peuvent en outre s’intéresser à certaines mesures gouvernementales. L’assurance-emploi offre des prestations pour proches aidants qui peuvent couvrir jusqu’à 55 % de la rémunération de la PPA, jusqu’à concurrence de 650 dollars par semaine, sous certaines conditions et pour un temps limité. Les gouvernements du Québec et du Canada proposent un crédit d’impôt pour personne aidante.
Bien encadrer la relation d'aide
Lorsque le client vit une perte d’autonomie, la PPA peut acquérir des pouvoirs plus ou moins prononcés par rapport aux finances du client du conseiller.
« Les conseillers ont tout intérêt à encourager leurs clients à se munir des documents de base qui servent à préciser ces situations afin d’éviter les complications », juge Simon Brochu.
Un client peut par exemple signer une procuration bancaire à une PPA qui n’est pas son épouse pour qu’elle puisse réaliser certaines transactions, comme acquitter une facture en ligne ou payer l’épicerie avec une carte de guichet. Il reste responsable de ses biens et des transactions effectuées dans ses comptes. De son côté, le procureur doit agir dans l’intérêt de la personne qu’il aide. L’institution financière n’a d’ailleurs aucune obligation de faire affaire avec cette personne et peut refuser, par exemple si elle soupçonne un cas de maltraitance financière.
La personne peut également signer une procuration légale plus large, qui peut aller jusqu’à la gestion de tous ses biens. Le client du conseiller devrait aussi établir un mandat de protection, qui désigne la ou les personnes qui prendront soin de lui et de ses biens en cas de problème. Une personne déclarée inapte n’a plus le droit de signer une procuration ou un mandat de protection.
L’article 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière précise d’ailleurs que le représentant « ne peut accomplir quelque transaction, entente ou contrat que ce soit avec un client qui, de façon manifeste, n’est pas en mesure de gérer ses affaires à moins que les décisions prises pour accomplir ces transactions, ententes ou contrats le soient par des personnes qui peuvent légalement décider en lieu et place de ce client ». De là l’importance de planifier ces dispositions assez tôt.
De nouveaux instruments
D’autres outils peuvent aussi faciliter le rôle d’une PPA dans la gestion financière de la personne qu’elle aide, comme la notion de « personne de confiance ». Depuis 2021, l’article 13.2 du règlement 31-103 de la Loi sur les valeurs mobilières demande aux personnes inscrites de prendre « des mesures raisonnables lui permettant d’obtenir du client le nom et les coordonnées d’une personne de confiance et son consentement écrit à communiquer avec elle ». Cette modification aide les conseillers à résoudre le dilemme entre le respect de la confidentialité des renseignements du client et la volonté de signaler des problèmes de vulnérabilité ou de maltraitance.
« Nous employons maintenant cette approche chez Desjardins afin d’avoir un contact à joindre pour vérifier certaines informations ou discuter d’une situation problématique, explique Simon Brochu. Même avant, nous utilisions des “personnes de référence” avec certains clients. »
La personne de confiance n’a aucun droit ni aucun pouvoir décisionnel par rapport aux actifs du client. Elle n’est qu’un contact vers qui le conseiller peut se tourner pour discuter.
La mesure d’assistance, créée récemment par le Curateur public, va un peu plus loin. Elle permet à un client de nommer officiellement quelqu’un pour l’aider dans certaines prises de décision ou dans la gestion de ses biens, sans toutefois abdiquer aucun de ses droits. L’assistant peut aussi avoir accès aux renseignements confidentiels du client, avec son consentement. Il est désigné après une procédure de vérification et d’entrevue menée par le Curateur public.
Comme cette mesure n’est pas encore très connue, les conseillers ne devraient pas hésiter à la présenter à certains de leurs clients.
Le plus important est de toujours garder en tête que son rôle consiste à préserver les intérêts de son client.
Protéger l'intérêt du client
Dans tout cela, le conseiller doit lui-même demeurer à l’intérieur de certaines limites pour se protéger. « Le plus important est de toujours garder en tête que son rôle consiste à servir les intérêts de son client », souligne Me Geneviève Beauvais, avocate au développement professionnel et à la qualité des pratiques à la CSF.
Dans certaines situations, cela se complique. « Le défi des conseillers, c’est de savoir conserver l’harmonie entre certaines volontés du client et ses intérêts financiers », poursuit Me Beauvais. Par exemple, une personne âgée veut donner une grosse somme d’argent à sa PPA, ce qui met en péril la planification qui lui assurait d’avoir assez d’argent pour ses vieux jours. Est-ce que c’est vraiment sa volonté qui a changé ou y a-t-il un risque d’abus? Est-ce que cette nouvelle voie permet de respecter l’intérêt du client?
« On ne doit pas oublier que le client reste apte tant qu’il n’est pas légalement déclaré inapte, donc il a le droit de prendre les décisions qu’il souhaite, mais certaines d’entre elles peuvent ne pas respecter les obligations de convenance », rappelle Me Beauvais.
Elle suggère au conseiller de bien documenter ces situations — afin de pouvoir démontrer qu’il a respecté ses obligations — et d’envoyer un compte-rendu au client, par la poste ou par courriel, faisant état de ce qui a été discuté lors de la rencontre. Elle propose aussi de gagner du temps, par exemple en offrant d’en reparler à une rencontre ultérieure, peut-être en présence d’une personne de confiance du client ou d’un collègue du conseiller. Sans oublier que ce dernier peut ultimement refuser la demande.
Les clients de longue date d’un conseiller ou des membres de sa famille dont il gère les actifs peuvent parfois leur proposer d’agir comme personne de confiance, assistant ou même mandataire. Une situation à éviter. « Il y a un risque de conflit d’intérêts, qui pourrait placer un membre de la Chambre en situation d’infraction », constate Me Beauvais.
Depuis 2021, le règlement 31-103 de l’Autorité des marchés financiers est plus souple et permet à certains professionnels de se placer en situation de conflit d’intérêts lorsqu’il s’agit de s’occuper des affaires d’un parent ou d’un enfant. Mais cette disposition du secteur des valeurs mobilières ne s’applique pas aux professionnels en assurance.
L’article 26 du code de déontologie de la Chambre stipule d’ailleurs que le représentant « ne peut accomplir quelque transaction, entente ou contrat que ce soit à titre de représentant avec un client dont il est le tuteur datif, le curateur ou le conseiller au sens du Code civil ». Le conseiller qui pratique dans les deux disciplines peut donc se retrouver en situation précaire. La prudence reste de mise.
58 % DES PROCHES AIDANTS SONT DES FEMMES.
PRÈS DE 60 % DES PROCHES AIDANTS OCCUPENT UN EMPLOI.
30,6 % DES PROCHES AIDANTS ONT ENTRE 45 ET 64 ANS ET 20,5 % ONT 65 ANS ET PLUS.
PLUS D’UN PROCHE AIDANT SUR CINQ S’OCCUPE DE DEUX PERSONNES, ET PLUS D’UN SUR DIX PREND SOIN DE TROIS PERSONNES OU PLUS.
Source : Institut de la statistique du Québec.