Article 30 mai 2023

Réseaux sociaux : Investir sous influence

Les influenceurs financiers pullulent sur les médias sociaux depuis quelques années. Or, leurs compétences en finance sont souvent très relatives et leurs conseils peuvent amener des investisseurs à commettre des erreurs coûteuses.

Vos clients souhaitent soudainement investir dans les cryptomonnaies, les NFT (jetons non fongibles), le cannabis ou les « meme stocks » (des actions propulsées par ou sur les médias sociaux) ? Les chances sont bonnes qu'ils en aient entendu parler par l'entremise d'influenceurs financiers sur des sites et réseaux comme TikTok, YouTube ou Instagram.

C'est en particulier le cas des plus jeunes. En novembre 2022, RBC dévoilait un sondage démontrant qu'un quart des 18 à 24 ans trouvent leurs renseignements financiers sur TikTok et Instagram ou dans des articles publiés en ligne. Aux États-Unis, une étude de CMC Markets estime qu'entre 35 et 40 % des jeunes de 18 à 26 ans font de même.

 

Un métier lucratif

Plusieurs éléments ont contribué à la popularité des influenceurs financiers. La très forte montée de la valeur des cryptomonnaies en 2020 et 2021 a attisé la curiosité des jeunes pour un produit financier qui était soutenu par des plateformes en ligne et des influenceurs, mais que les conseillers inscrits regardaient avec méfiance.

L'arrivée des robots-financiers et des plateformes de courtage gratuites a aussi joué. Une grande partie de leur marketing visait les jeunes. « Ils les ont attirés avec des outils ludiques, dans lesquels l'investissement avait presque l'air d'un divertissement », observe le planificateur financier Fabien Major.

Puis sont survenus la pandémie et les confinements. « Les gens restaient plus à la maison et beaucoup de jeunes ont commencé à regarder des vidéos d'influenceurs financiers et à s'intéresser à l'investissement, explique Julien Brault, fondateur de HardBacon. Nous sommes passés de 20 000 à 250 000 utilisateurs uniques entre 2020 et 2022. »

Devant la croissance de ce public, le nombre de blogueurs financiers a aussi augmenté. Cette occupation peut devenir très payante. L'étude de CMC Markets a montré que les dix influenceurs financiers les plus populaires touchent entre 1 300 $ US et 7 040 $ US par vidéo publiée. Erika Kullberg, qui vient en tête de liste, compte 8 900 000 adeptes sur TikTok et gagne 100 000 $ US par année juste avec ses vidéos YouTube.

 

Une activité peu encadrée

La présence de ces influenceurs n'est pas que négative. « On sent un regain d'intérêt pour les questions financières chez les jeunes, indique le planificateur financier Marc-Olivier Desmarais. Certes, on croise des personnages douteux sur les médias sociaux, mais on y trouve aussi des intervenants crédibles, comme Pierre-Yves McSween, qui rendent ces sujets plus accessibles. »

Il note que de plus en plus de jeunes le contactent pour discuter de planification financière. « Plusieurs comprennent l’utilité du conseil, au-delà de la consommation de contenu financier sur les médias sociaux », juge-t-il.

Cependant, l’activité des influenceurs financiers reste très peu encadrée et comporte plusieurs zones grises qui peuvent piéger certains investisseurs. « On retrouve une très grande variété de profils parmi eux, reconnaît Julien Brault. Certains agissent de bonne foi et possèdent une solide expertise, mais d’autres sont beaucoup moins fiables. Il y a aussi des gens qui poussent des produits ou qui sont carrément des fraudeurs. »

Les influenceurs payés pour promouvoir un produit financier ne le disent pas toujours clairement. Dans un cas célèbre aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) a imposé une amende de 1,26 M$ US à Kim Kardashian pour avoir vanté une cryptomonnaie sans révéler qu’elle était payée 250 000 $ US pour le faire.

Option consommateurs a publié un rapport à ce sujet en 2021. « Nous avons remarqué que les messages des influenceurs n’indiquent pas toujours clairement qu’on a affaire à une publicité et qu’il y a beaucoup de confusion à ce sujet dans leur auditoire », explique Me Clarisse N’Kaa, analyste pour l’organisme.

Par exemple, les influenceurs peuvent ajouter à leur message un mot-clic comme #pub ou #commandite. Mais comment comprendre ces indications ? Dans certains cas, le propriétaire de la marque exerce un grand contrôle sur le message, alors que dans d’autres il ne fait qu’envoyer son produit à l’influenceur en espérant qu’il en parle. Dans le cas de Kim Kardashian, la SEC n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait inséré un #AD (l’équivalent anglais de #PUB) dans son message.

« Le risque augmente quand il est question d’influenceurs financiers, à cause de la notion de conseil et parce que l’impact sur les consommateurs d’une perte financière peut être grave », ajoute Me N’Kaa.

DES INFLUENCEURS FINANCIERS QUÉBÉCOIS SUR TIKTOK
(Janvier 2023)


Cory Albert
108 200 abonnés


François Lambert
49 800 abonnés


Tédia Rosarion
21 700 abonnés


Alex Bélanger
20 500 abonnés


Joey Cartier
19 300 abonnés


Everest Day Trading
15 100 abonnés

 

À qui se plaindre ?

Quelqu’un qui a été victime de fraude peut déposer une plainte à la police et faire un signalement au Centre antifraude du Canada. Mais les autres organismes de protection des consommateurs ont plutôt tendance à se lancer la balle.

L’Office de protection des consommateurs soutient que le phénomène des influenceurs est assez nouveau et ne peut dire s’il a eu à traiter des plaintes de ce genre. « Si c’est le cas, leur nombre est probablement infime », affirme Charles Tanguay, responsable des partenariats stratégiques et des relations avec les médias. Il admet que ces influenceurs exercent des formes de publicité et qu’à ce titre l’Office pourrait intervenir en cas de tromperie ou d’omission d’un fait important. M. Tanguay pense toutefois que, dans le cas des influenceurs, l’AMF semble mieux placée pour traiter les plaintes.

Or, à ce jour, l’AMF n’a pas de réglementation spécifique aux influenceurs et, selon son directeur des relations médias, Sylvain Théberge, il n’y a pas d’intention de ce côté-là. « Nous travaillons davantage à sensibiliser le public sur les risques entourant la confiance que peuvent accorder certains consommateurs aux finfluenceurs », précise-t-il.

Certains régulateurs vont au-delà de l’approche préventive sur la question. C’est le cas de l’autorité des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique. En 2021, elle a proposé de nouvelles règles pour encadrer les discours publicitaires sur les produits financiers. Ces règles s’appliqueraient notamment aux infolettres et aux messages et vidéos sur les médias sociaux. Elles visent à révéler tous les liens entre ceux qui promeuvent un produit et ce produit ou son émetteur.

« Le public a le droit de savoir si quelqu’un qui fait la promotion d’une action est payé pour le faire ou a des intérêts dans cette action, explique Brian Kladko, gestionnaire des relations avec les médias et des affaires publiques. Bien que les nouvelles règles ne visent pas précisément les influenceurs, leur activité faisait partie des éléments que nous avons pris en considération. »

 

Créer du désir

La montée des influenceurs présente certains risques pour les consommateurs. On a déjà évoqué les dangers de fraude, mais le piège le plus important reste d’investir dans des produits de piètre qualité ou qui ne leur conviennent pas. Fabien Major remarque qu’une grande partie des influenceurs, en particulier ceux qui n’ont pas trop de formation en finance, parlent rapidement et presque exclusivement de produits financiers.

« Avec un conseiller, la question des produits vient très tard, rappelle-t-il. Il y a tout un travail à effectuer avant pour établir le profil de la personne, ses besoins, sa tolérance au risque, son plan financier, etc. Ce travail ne se fait pas en regardant des vidéos sur TikTok. »

Les vidéos sont aussi très souvent axées sur le mode de vie. Les gens racontent leur histoire, comment ils ont fait de l’argent, comment ils vivent, etc. Ils misent beaucoup sur le fameux FOMO (fear of missing out, ou la peur de rater une occasion), qui peut devenir aiguë quand un influenceur soutient qu’il a investi dans le bitcoin juste avant que sa valeur grimpe de 302 % en 2020.

L’investissement s’effectue alors plus par envie ou par mimétisme. C’est aussi la raison qui explique la popularité de produits comme les cryptomonnaies, les « meme stocks » ou les actions d’entreprise de cannabis. C’est pas mal plus sexy dans une vidéo TikTok qu’un cours sur les fonds communs équilibrés. Et les influenceurs sont d’abord là pour faire grossir leur public et générer des clics.

 

Éviter la rupture

Cédrick Jasmin, un planificateur financier de 28 ans basé à Laval, reconnaît que les gens de sa génération aiment bien parler finance avec lui. Plusieurs fréquentent des sites d’influenceurs financiers et un certain nombre investit de manière autonome.

« Les jeunes ont l’habitude d’avoir accès à de l’information très rapidement, rappelle-t-il. S’ils veulent savoir comment acheter des actions ou ouvrir un CELI, ils n’iront pas nécessairement voir un conseiller, ils vont chercher dans Google. Le problème, c’est qu’avoir plein d’information ne fait pas de toi un investisseur averti. »

Cédrick Jasmin croit que les conseillers gagnent à montrer une grande ouverture avec ce type de client. « Si vous ridiculisez toutes leurs suggestions, il y a de bonnes chances qu’ils ne reviennent plus vous consulter et qu’ils retournent vers les communautés qui gravitent autour des influenceurs », souligne-t-il.

Il conseille plutôt de prendre le temps d’écouter leurs idées d’investissement, d’effectuer des recherches sur les produits proposés et de bien en expliquer les bons et les mauvais côtés. Et de temps à autre, les laisser essayer leur idée, tout en s’assurant qu’ils n’y placent pas une trop grande part de leur capital.

« Ça leur donnera l’occasion de comparer leurs résultats à moyen ou long terme avec la stratégie que vous mettez de l’avant pour le reste de leurs investissements, dit-il. Pour certains, encaisser quelques pertes sera la meilleure manière d’apprendre à respecter le risque. »


Pour en savoir plus :

Marketing d'influence : La publicité à l'ère des médias sociaux