Article 18 juillet 2023

Endettés jusqu'à la fin

Alors que le niveau d’endettement des Canadiens a recommencé à grimper, les aînés n’échappent pas à la tendance et se retrouvent eux aussi avec des dettes qui les suivent parfois jusque dans la tombe… Portrait de la situation et conseils pour aider vos clients à redresser le cap.

Dans l’étude Jouer avec le feu, les dettes des ménages qui approchent de la retraite, les chercheurs Nicolas Bédard et Pierre-Carl Michaud ont constaté que de 2016 à 2020, la dette des personnes près de la retraite allait en augmentant. Une tendance qui ne semble pas près de s’essouffler. En effet, les actifs immobiliers ont pris beaucoup de valeur au fil du temps alors que parallèlement, les propriétaires ont pu maintenir des paiements constants grâce à des taux d’intérêt relativement bas. Résultat : ils ont eu davantage de latitude pour consommer et s’endetter, notamment grâce à leur marge hypothécaire. Or, les retraités sont très vulnérables aux changements pouvant toucher les conditions de crédit, car ils ne sont plus sur le marché et ne peuvent compenser le manque à gagner en travaillant davantage.

 

Moins de dettes, mais plus de difficultés financières

Cette situation, Pierre Fortin, syndic autorisé en insolvabilité et président de Jean Fortin et Associés, la voit tous les jours dans ses bureaux. Il remarque d’abord qu’en raison de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt, moins de dettes qu’avant la pandémie sont nécessaires (-20 %) pour se retrouver en mauvaise posture financière. Les aînés sont évidemment plus sensibles à cette réalité puisqu’ils ne peuvent compter que sur un montant de revenus prédéterminé chaque mois, à moins d’avoir un bas de laine dans lequel ils peuvent puiser. Selon les dernières statistiques disponibles du Bureau du surintendant des faillites du Canada, en 2021, les consommateurs âgés de 65 ans et plus représentaient d’ailleurs environ 15 % des dossiers en insolvabilité, par rapport à 10 % en 2014, et affichaient une dette médiane de carte de crédit de 17 380 $, soit le montant le plus élevé dans toutes les catégories d’âge, alors que la valeur de leurs actifs était plus faible.

Pierre Fortin note qu’une fois chez le syndic, les personnes de 65 ans et plus optent davantage pour la proposition de consommateur, à un niveau de 50 % au lieu de 45 % avant la pandémie. Cela constitue somme toute une bonne nouvelle, car la proposition est moins dommageable pour le dossier de crédit. « Elle est surtout plus facile à accepter que la faillite, qui comporte encore beaucoup de connotations négatives pour cette génération, comparativement aux autres tranches d’âge », souligne-t-il.

« Je vois des cas où, après un divorce, il a fallu acheter une nouvelle propriété pour se loger. Dès lors, l’hypothèque est encore loin d’être remboursée, ce qui ajoute à l’endettement. » — Nathalie Giguet

Le montant moyen des propositions est aussi moins élevé, passant d’un remboursement moyen en proportion de 50 cents pour un dollar de dette à 35 cents pour un dollar, ce qui laisse croire que les créanciers sont davantage ouverts à la négociation.

« Néanmoins, ce qui fait la grande différence pour un aîné, ce sont ses actifs, l’immobilier par exemple, et s’il arrive endetté ou pas à la retraite. Et quand bien même il est en bonne position, il doit toujours se montrer prudent, car la tentation est grande de se gâter, de partir en voyage, d’acheter un VR, etc. Le coût de la vie étant également plus élevé en cette période postpandémique, on gruge aussi plus rapidement dans ses économies qu’auparavant », prévient Pierre Fortin.

 

Des facteurs multiples

Dans sa pratique, le conseiller en sécurité financière Jean-François Rémillard, de Gestion de patrimoine Séquito, confirme qu’il voit des clients retraités ou proches de la retraite plus endettés qu’auparavant. « Cela s’explique par différents facteurs, des divorces et séparations, des réhypothèques, par exemple. Il y a aussi ceux qui ont réalisé leur rêve de s’offrir une grande maison très coûteuse même si leurs enfants sont partis. Le syndrome du voisin gonflable joue aussi un rôle ainsi que l’aspect psychologique : on dépense souvent pour compenser », constate-t-il.

Nathalie Giguet, conseillère en sécurité financière, conseillère en assurance collective et représentante en épargne collective chez Nathalie Giguet-Covex, observe que lorsque les personnes retraitées s’endettent, c’est souvent parce qu’elles gâtent leur entourage en utilisant leurs cartes de crédit. « Elles multiplient aussi les cartes proposées dans les magasins et comprennent mal le fonctionnement du crédit, et surtout son coût. Je vois également des cas où, après un divorce, il a fallu acheter une nouvelle propriété pour se loger. Dès lors, l ’hypothèque est encore loin d’être remboursée, ce qui ajoute à l’endettement », dit-elle.

 

Accompagner et éduquer

Comment sortir de ce cercle vicieux? De l’avis des personnes interviewées, il faut revenir aux principes de base, en particulier le budget. « La plupart des gens n’en font pas et ne savent pas exactement ce qu’ils dépensent chaque mois. Un conseiller peut les aider en ce sens. C’est aussi une bonne idée de dresser une liste de leurs dettes et de ce que ça coûte en frais d’intérêt, pour qu’ils réalisent les montants que cela représente. Il y a donc un important travail d’éducation et d’accompagnement à faire », estime Jean-François Rémillard.

Il fait toutefois remarquer que nombreux sont ceux qui ne veulent pas regarder la réalité en face. « Je leur rappelle que le problème ne se réglera pas tout seul, et qu’utiliser, par exemple, sa marge de crédit pour rembourser ses soldes de cartes de crédit est une excellente façon de se pendre : d’ici peu, le niveau des cartes aura remonté alors que la marge n’aura toujours pas été remboursée! », illustre-t-il. S’asseoir avec le client et établir avec lui un plan écrit de remboursement de dettes sur une période déterminée pourrait constituer dans ce cas une bonne stratégie.

M. Rémillard recommande également l’épargne systématique par le biais de prélèvements automatiques sur le compte bancaire. Bien sûr, un autre ingrédient nécessaire est une discipline financière rigoureuse. Cela peut passer, par exemple, par le fait d'avoir une seule carte de crédit avec une limite peu élevée. Et se retirer de l'argent liquide pour ses dépenses de la semaine et se limiter à ce montant.

Lorsqu’un client appelle pour effectuer un important retrait dans ses avoirs, le conseiller a aussi un rôle de modérateur à jouer. « Il doit poser des questions pour savoir quel est le but du retrait, s’il n’y a pas d’autres possibilités qui éviteraient de piger dans son épargne, et recommander un délai de réflexion », indique-t-elle.

Si les décaissements sont fréquents ou les sommes élevées, le conseiller devrait tirer la sonnette d’alarme en mentionnant que cela nécessitera de revoir la planification de retraite, car elle ne tiendra plus dans ces conditions, suggère Nathalie Giguet. Cela fait parfois réfléchir... Elle ajoute qu’il n’est pas rare que deux ou trois ans après leur retraite, des clients retournent travailler à temps partiel pour compenser la hausse des dépenses combinée à la baisse des revenus. « Cela peut constituer une solution si l’état de santé le permet », indique-t-elle.

Autre bon conseil pour s’assurer d’avoir toujours le montant nécessaire pour couvrir les dépenses essentielles : souscrire une rente viagère. Un outil qui a l'avantage d'apporter de la stabilité.

En tout temps, établir une relation de confiance avec ses clients permettra de mener des discussions difficiles et d’aborder des sujets sensibles, et ce, pour le plus grand bien de leur sécurité financière.

« Il y a un important travail d’éducation et d’accompagnement à faire. » — Jean-François Rémillard