Fiscalité américaine : résident ou non, telle est la question

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Fiscalité américaine : résident ou non, telle est la question

Les quelque 900 000 Canadiens qui demeurent plusieurs mois par année dans le sud des États-Unis pourraient devoir y déclarer des revenus en certaines circonstances. Ne pas se plier à cette obligation pourrait leur coûter cher en pénalités. 

Les hivernants effectuent d’assez longs séjours aux États-Unis chaque année, où ils possèdent souvent une résidence. Ils doivent donc rester attentifs au moment où ils pourraient être considérés comme des résidents américains par l’Internal Revenue Service (IRS, l’agence du revenu fédérale des États-Unis).

Savoir si on est considéré comme un résident fiscal américain, si on doit produire une déclaration de revenus américaine ou remplir certains formulaires de renseignements constitue un enjeu majeur pour les gens qui effectuent des séjours de quelques mois aux États-Unis.

Mylène Tétreault, associée fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton

Attention au statut de résident

Ces voyageurs canadiens sont soumis au critère de présence importante (Substantial Presence Test) de l’IRS, qui applique la fameuse règle des 183 jours. Celle-ci stipule que si l’on est resté plus de 183 jours aux États-Unis sur une période de trois ans (en incluant les petits séjours de quelques heures), on est considéré comme résident américain et on pourrait devoir y payer de l’impôt. On doit procéder à ce calcul dès que l’on effectue un séjour de plus de trente jours dans ce pays.

Or, cette règle est souvent mal comprise. Il ne s’agit pas d’additionner les jours qu’on a passés au sud de la frontière pendant trois ans. Le décompte comprend plutôt toutes les journées de l’année courante, plus 1/3 des journées passées dans l’année précédente et 1/6 de celles dans l’année d’avant. Pour faire une règle générale, on peut calculer que si on séjourne 122 jours par année aux États-Unis pendant trois ans de suite, on sera jugé résident fiscal américain.

Les Canadiens qui dépassent 183 jours aux États-Unis sur trois ans peuvent remplir le formulaire 8840 et le transmettre à l’IRS au plus tard le 15 juin de l’année suivante (qui est la date limite à laquelle ils doivent remettre leur déclaration de revenus au fisc américain). « Ce formulaire sert à démontrer au gouvernement américain que l’on conserve des liens beaucoup plus forts avec le Canada qu’avec les États-Unis, et donc à ne pas être considéré comme résident américain », précise Mylène Tétreault.

Ce formulaire ne pourra pas aider les vacanciers à long terme qui ont passé 183 jours ou plus aux États-Unis au cours d’une seule année ni ceux qui ont entrepris des démarches pour y obtenir le statut de résident permanent (carte verte). Notons également que les Canadiens qui habitent la majorité de leurs temps aux États-Unis vivront la situation inverse. Ils devront remplir le formulaire NR74 ou NR73 au Canada pour démontrer qu’ils maintiennent des liens plus forts avec les États-Unis, et qu’ils ne sont plus résidents fiscaux au nord de la frontière.

Pour la plupart, les hivernants restent généralement des résidents fiscaux canadiens. Ils doivent donc déclarer tous leurs revenus au fisc canadien, y compris ceux qu’ils tirent d’activités aux États-Unis, comme la vente ou la location d’un bien immobilier.

 

Déclarer ses revenus au fisc

Mais attention, ce n’est pas parce que l’on n’est pas résident américain que l’on n’a pas à payer de l’impôt à l’Oncle Sam. Il y a trois ans, Philippe Jette, Jeneviève Osborne-Fortier, Martin Lalonde et Yves Bouchard ont fondé Snowbird Taxes, une entreprise qui se spécialise dans la fiscalité des Canadiens qui séjournent longtemps aux États-Unis.

« Nous avions remarqué un grand besoin de conseils spécialisés chez ces personnes, entre autres en ce qui concerne l’immobilier », explique le PDG Philippe Jette. Il conseille par exemple des Canadiens qui vendent une résidence aux États-Unis qu’ils détiennent parfois depuis longtemps, et d’autres qui achètent des logements dans ce pays pour les louer.

« Ces gens doivent déclarer leurs gains en capital aux États-Unis, où ils effectuent les transactions, et au Canada, puisqu’ils restent résidents fiscaux du Canada », indique Philippe Jette. C’est notamment le cas des personnes qui disposent de propriétés aux États-Unis, depuis l’adoption en 1980 du Foreign Investment in Real Property Tax Act (FIRPTA).

« Cette loi prévoit une retenue à la source de 15 % du prix de vente lorsqu’on se départit d’une propriété, ajoute Philippe Jette. C’est un peu comme un acompte provisionnel d’impôt, en attendant que la personne remplisse sa déclaration de revenus. » Dans certains cas précis, cette retenue peut n’être que de 10 %.

La manière d’imposer les gains en capital diffère par ailleurs entre les deux pays. Le taux américain est plus bas (entre 0 à 20 % du gain), mais s’applique sur tout le profit. Au Canada, seule la moitié des gains est imposable. Depuis le 25 juin 2024, ce taux est toutefois passé à 66,7 % pour les gains de plus de 250 000 dollars.

 

Pas de double imposition

Les Canadiens qui ne sont pas jugés résidents fiscaux américains doivent remplir une déclaration de revenus de non-résident 1040-NR. « Ils doivent aussi transmettre des informations au fisc américain sur leurs placements, y compris ceux qui se trouvent dans des comptes enregistrés au Canada, comme les REER, les CELI ou les REEE », souligne David Truong, président de Banque Nationale Planification et Avantages sociaux.

Par ailleurs, si un hivernant canadien est en couple avec une personne qui possède la citoyenneté américaine, celle-ci doit se méfier de certains placements effectués au Canada, même si elle a une double nationalité. « Des comptes qui se trouvent à l’abri de l’impôt canadien ne le sont pas de l’impôt américain, précise en effet David Truong. C’est le cas du CELI, du CELIAPP ou encore du REEE. » Dans le cas du REEE, le gouvernement américain considère même les subventions gouvernementales comme étant un revenu imposable.

Le Canada possède une convention fiscale avec les États-Unis, comme avec de nombreux autres pays. « Elle précise l’assujettissement aux différents types de revenus et statue aussi sur la question de la résidence fiscale, puisqu’on ne peut pas être résident de deux pays », explique Mylène Tétreault.

La convention fiscale évite donc la double imposition. C’est le cas, par exemple, des impôts sur le gain en capital. Un snowbird peut effectuer une demande de crédits fédéraux pour impôt étranger en remplissant le formulaire T2209. « Il ne paiera pas les mêmes impôts deux fois, explique Philippe Jette. Il paiera le montant qu’il doit aux États-Unis, et si celui-ci est inférieur à celui de sa déclaration de revenus canadienne, il paiera la différence. »

Références

Cet article est d’abord paru dans l’édition été 2024 du CSFMag+.