Quand le testament chevauche la frontière
Les Canadiens qui séjournent plusieurs mois aux États-Unis peuvent y acquérir des biens. Lorsqu’ils décèdent, une planification successorale efficace aide à éviter des problèmes aux héritiers, en particulier si le décès survient à l’extérieur du Canada.
La première question qui se pose lors du décès d’un hivernant à l’étranger est celle de la résidence fiscale, puisque c’est à partir de ce critère qu’on décide quel État américain ou quelle province canadienne a juridiction sur le processus de succession.
« Si la personne défunte est résidente du Québec, le processus de la succession tombe sous la juridiction du Québec, comme s’il était décédé dans cette province », explique Me Mona Salehi, notaire. Si, par exemple, quelqu’un veut intenter un recours contre la succession, c’est là qu’il devra le faire, même si cette personne est originaire des États-Unis.
Le testament québécois reconnu?
« Si la personne décédée possède des biens aux États-Unis, comme une maison, une voiture ou un immeuble à revenus, on doit généralement faire traduire le testament en anglais par des professionnels et le faire homologuer là-bas », explique Me Salehi. Le testament québécois notarié est reconnu aux États-Unis, à condition d’être accompagné de certaines informations, par exemple une preuve que le notaire est inscrit à la Chambre des notaires du Québec.
« Mais dans plusieurs cas, les autorités de l’État américain où se trouvent les biens du défunt demanderont un jugement sur place, afin d’y faire reconnaître légalement le testament », précise Me Salehi. En effet, dans plusieurs États, le règlement d’une succession est une procédure judiciaire et ne relève pas d’un notaire. Cette procédure s’appelle le « probate ». Elle signifie que, testament ou non, on doit prouver qui sont les bénéficiaires de la succession.
Cette démarche peut exiger de l’exécuteur testamentaire qu’il embauche un avocat américain et même qu’il se rende sur place pour assister à la procédure. C’est souvent le cas quand une personne détient un bien, par exemple une propriété, en son seul nom.
Un ou deux testaments?
Pour éviter cela, certains font rédiger un testament canadien pour les biens au Québec et un testament américain qui répond aux exigences légales de l’État dans lequel se trouvent les biens, et qui couvre exclusivement ces possessions. Cela permet de réduire les frais et les délais liés à la reconnaissance par un juge du testament québécois. On doit cependant faire attention qu’un document ne contredise pas l’autre et n’en révoque pas certaines clauses.
« Je conseille généralement à mes clients de ne pas multiplier les documents légaux, indique Me Salehi. Pour éviter les complications, mieux vaut garder la planification successorale la plus simple possible. »
D’autres options possibles
Les Canadiens peuvent en outre prévoir d’autres dispositions pour faciliter la transmission de leurs biens. Par exemple, la rédaction par un juriste américain d’un Enhanced Life Estate Deed assure à l’époux survivant de conserver les droits sur une propriété, puis de la céder par voie testamentaire lors du décès du deuxième conjoint. D’autres formes de détentions conjointes (joint tenancy with right of survivorship, tenancy in common, husband & wife) permettent aussi de considérer la propriété comme un genre de copropriété indivise. Celle-ci reste en possession du conjoint survivant à la suite d’un décès.
Ces options, tout comme celles de la détention de biens par une fiducie, par une compagnie à responsabilité limitée ou par une société de personnes, ne concernent pas que la transmission des biens. Elles visent souvent à protéger la succession de certaines incidences fiscales liées au décès.
« De plus en plus de successions au Québec ont une portée internationale, par exemple parce que le liquidateur ou les bénéficiaires sont non-résidents du Canada ou encore parce que le défunt possédait beaucoup de biens dans un pays étranger, notamment les États-Unis », affirme Mylène Tétreault, associée fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton.
Ce genre de succession peut avoir des conséquences fiscales pour les héritiers. « C’est important de consulter un fiscaliste spécialisé en fiscalité internationale en amont, car à partir du jour du décès on doit vivre avec les conséquences de ce qui a été mis en place avant », poursuit Mylène Tétreault.
Le mandat de protection québécois pas reconnu
On doit aussi garder en tête que le mandat de protection québécois, même traduit en anglais, n’est pas reconnu aux États-Unis. Si on veut administrer les biens de son conjoint ou d’un proche qui ne peut plus le faire, on doit entreprendre des démarches pour obtenir un mandat américain en prouvant la maladie de cette personne.
Les hivernants et les professionnels de la Chambre qui les conseillent ont tout intérêt à consulter des gens spécialisés en matière de fiscalité et de succession internationales, car ce sont des domaines d’un haut niveau de complexité, dans lesquels les faux pas peuvent coûter cher et causer bien des maux de tête.
Références
Ce texte est tiré d’un article paru dans l’édition été 2024 du le CSFMag+.
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