Un sondage révélateur qui bouscule les préjugés
La CSF et ÉducÉpargne ont fait réaliser un vaste sondage par la firme Léger sur les habitudes d’épargne de la population québécoise. Les résultats révèlent certaines inégalités persistantes entre les hommes et les femmes.
Plus de 1500 personnes de 25 à 74ans ont répondu au questionnaire Web de la CSF entre le 5 et le 16décembre 2023. « C’est un échantillon très robuste et représentatif », confirme Guillaume Gingras, directeur de recherche à Léger. À titre comparatif, les réputés sondages politiques de la firme comptent généralement 1000 répondants.
Les résultats indiquent que la route vers l’épargne-retraite des femmes continue d’être parsemée de plus d’embûches que celle des hommes. « Elles restent plus responsables des tâches ménagères, leurs revenus leur permettent moins d’épargner et elles affichent une plus faible confiance dans leurs compétences financières, ainsi qu’un moins grand appétit pour le risque que les hommes », précise le sondeur.
Gestion séparée
« Ce sondage montre que la fonction redistributrice que l’on associe au couple et sur laquelle nos politiques sociales sont basées est en grande partie un mythe, affirme Hélène Belleau, professeur titulaire au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS.
Selon l’enquête, moins de la moitié des couples gère leur argent ensemble. Donc l’idée de revenu familial ne tient pas. »
Au total, 43 % des répondants affirment qu’ils ne mettent pas leurs revenus en commun, mais se séparent les dépenses. Dans 14 % des cas, un des deux conjoints prend en charge toutes les dépenses communes.
Le sondage indique que 60 % des femmes déclarent avoir un salaire inférieur à celui de leur conjoint. Le tiers (30 %) des Québécoises disent ne pas avoir suffisamment de revenus pour épargner en vue de la retraite, contre 20 % des hommes.
Or, Hélène Belleau souligne que le couple n’équilibre pas ces écarts de revenus. « Et c’est encore pire au niveau de l’épargne, puisqu’à peine 30 % des répondants essaient d’équilibrer l’épargne à long terme entre eux en prenant des placements pour chacun », ajoute-t-elle. Dans quatre couples sur dix, chacun épargne de son côté, alors que dans 11 % des cas, les placements sont tous au nom d’un seul des deux conjoints.
Elle s’inquiète aussi de voir que dans la moitié des couples qui ont des enfants mineurs, chaque conjoint épargne indépendamment de l’autre. « C’est dans ces années-là que les revenus des femmes tendent à baisser, parce qu’elles prennent des congés de maternité et que leurs tâches non rémunérées augmentent, rappelle-t-elle. Cela peut avoir des conséquences majeures sur leur capacité d’épargner pour la retraite. »
• 60 % des femmes déclarent avoir un salaire inférieur à celui de leur conjoint.
• 43 % des répondants affirment qu’ils ne mettent pas leurs revenus en commun, mais se séparent les dépenses.
Servir l’intérêt individuel
Hélène Belleau contribue au projet de sondage de la CSF à titre de chercheuse. Elle envisage notamment des manières dont les membres de la Chambre pourraient aider à réduire les inégalités de genre dans l’épargne-retraite. Elle estime qu’ils ne devraient pas hésiter à aborder franchement les questions de gestion financière et d’épargne avec leurs clients en couple.
La Chambre confirme que certains aspects déontologiques et surtout éthiques devraient amener les conseillers à se comporter comme le propose Mme Belleau. « C’est sûr que les conseillers ont un rôle à jouer pour réduire les inégalités de genre face à l’épargne, croit Me Geneviève Beauvais, cheffe de la qualité et de la conformité des pratiques à la CSF. Cela rejoint certaines obligations déontologiques comme la connaissance du client, le fait d’agir dans l’intérêt du client et le devoir d’information. »
Au-delà de ces obligations , il en va également de l’éthique des membres de la Chambre. Geneviève Beauvais estime qu’un premier rendez-vous avec un couple devrait servir à établir la situation financière, mais aussi à démontrer les conséquences différenciées pour les deux conjoints des modes de gestion des revenus et de l’épargne dans le couple.
Me Beauvais note que les conseillers parlent plus volontiers des risques en cas de décès, mais hésitent à aborder les effets d’une séparation ou d’un divorce ou encore le partage des dépenses. Ce sont des sujets sensibles dont les couples ne raffolent pas, mais qui sont cruciaux dans la gestion de l’épargne-retraite.
• Près d’une Québécoise sur trois (30 %) n'a pas commencé à planifier sa retraite et déclare ne pas avoir de revenus suffisants pour cela, comparativement à un cinquième (20%) des hommes dans la même situation.
• La tolérance au risque des femmes plafonne à 2,7 sur une échelle de 5, contre 3,2 pour les hommes.
Les rencontres suivantes devraient se faire en individuel avec chacun des membres du couple. « Les deux personnes doivent être engagées dans leur processus d’épargne, indique Me Beauvais. Lorsqu’on rencontre toujours les gens en couple, il arrive que l’un des deux — souvent celui ou celle qui touche le plus petit revenu — se désintéresse du processus et laisse l’autre s’en occuper. »
Les rencontres individuelles sont importantes aussi parce que les deux conjoints n’ont pas nécessairement le même profil, ni la même tolérance au risque, ni les mêmes valeurs. L’étude de Léger indique par exemple que la tolérance moyenne au risque des femmes plafonne à 2,7 sur une échelle de 5, contre 3,2 pour les hommes. Cela aura un impact majeur sur le rendement de leur portefeuille à long terme.
Or, le rôle du conseiller demeure de bien servir les intérêts de chacun de ses clients. Pour l’aider à y arriver, la boîte à outils d’InfoDéonto propose le guide « Accompagner les couples dans la gestion de leurs finances », qui illustre notamment des cas où on doit faire preuve d’une vigilance particulière.
Résultats détaillés du sondage etude_sur_les_revenus_a_la_retraite_des_quebecoises-web (2.5 mo)
TéléchargerRéférences
Léger, pour la Chambre de la sécurité financière. Étude sur les revenus à la retraite des Québécoises et Québécois.